Rohingyas

Je crois qu’il se passe quelque chose d’anormal,
lança brusquement Ko Than.
Zack n’avait rien remarqué... Mais maintenant qu’il
y prêtait attention, il notait une nette réduction du bruit
ambiant. Les membres de l’équipage montraient aussi
des signes d’inquiétude.
—L’avion perd de la puissance! déclara Mya d’une
voix tremblante.
—Le réacteur gauche a lâché, les informa Élise Marchand calmement.
Ils furent balancés de tous côtés tandis que les exclamations angoissées des passagers s’élevaient de part et d’autre.
Ils se cramponnèrent aux appuis-bras jusqu’à ce que
l’appareil retrouve son équilibre.
—Veuillez rester attachés, ordonna le pilote en
anglais, avant de répéter le message dans d’autres langues.
Un incident technique mineur nous oblige à changer de
cap. Les agents de bord sont là pour vous assister.
Plus personne ne parlait.
Horriblement inquiets, les voyageurs se demandaient
à quel incident faisait allusion le commandant.

Zack ouvrit la bouche pour lui parler de Ko Than, qui
projetait de devenir ingénieur en aéronautique, mais Élise
poursuivit en lui confiant qu’adolescente, son idole se
nommait Marie Marvingt.
—On l’avait surnommée «la fiancée du danger». En1915,
elle a été la première femme pilote de chasse. Elle
s’était déguisée en homme pour s’engager dans l’armée
et participer à la Première Guerre mondiale.

Un bruit suspect émanait des moteurs de l’avion. Zack se
pencha pour regarder à travers le hublot. Il entrevit le
soleil qui se levait en traçant des sillons jaunes sur un ciel
orangé. Comme personne ne semblait s’alarmer, il
se détendit.

À côté de lui, Mya et Ko Than dormaient à poings
fermés. Ils occupaient trois des quatre fauteuils au milieu
de la rangée 39 d’un AirbusA330 qui assurait la liaison
Singapour-Yangon. Une dame âgée lisait à la droite de
Zack.

Les opérations de sauvetage s’avéreront difficiles aujourd’hui, commenta Élise en constatant que les vagues s’élevaient de plus en plus. Tous pensèrent aux provisions d’eau, qui avaient considérablement diminué, même s’ils en avaient consommé moins que le strict minimum déclaré par Corinne […] Les passagers de la barque sentaient la torpeur les envahir. Elle anesthésiait autant leur corps que leurs esprits. Ils éprouvaient tous les symptômes de la déshydratation : bouche sèche et pâteuse, soif accrue, fatigue, étourdissement, crampes, manque de concentration… Tous sauf Malik et Khalis, qui buvaient chaque fois plus que les autres.

On occupe la rangée 39, déclara fermement Élise
Marchand. Deux sorties d’urgence se trouvent face à
nous, de chaque côté de la rangée 31,
et deux autres derrière nous, à la rangée 48.
Attendons de voir ce qui va se passer.

Son pouls cogna à grands coups dans ses tympans
lorsque le fond d’écran apparut. L’image montrait Zack
riant aux éclats. Habituellement, cette photo le réjouissait, mais aujourd’hui, elle décuplait ses peurs.

Jour 1, 9h10
Bangkok, Thaïlande
Dernière heure. Un avion transportant à son bord 285 passagers et 12 membres d’équipage a disparu ce matin en mer d’Andaman. Le vol SQ 998 assurait la liaison Singapour-Yangon.
Dernière heure. Un avion transportant à son bord 285passagers et 12 membres d’équipage a disparu ce matin en mer d’Andaman. Le vol SQ 998 assurait la liaison Singapour-Yangon.

Dernière heure. Un avion transportant...

François Martin relut pour la troisième fois le communiqué qui défilait en boucle au bas de l’écran. En voyage d’affaires à Bangkok, il regardait les informations sur TV5MONDE dans sa chambre d’hôtel lorsque la terrible nouvelle était tombée.

Son fils Zack et ses amis Mya et Ko Than s’étaient
envolés la veille de Montréal pour le Myanmar.

Cette barque est le miroir du monde, murmura Élise. Il y a le meilleur et le pire de la création. Ceux aveuglés par leurs croyances, et les autres, qui obéissent à leur nature d’humains parmi les humains : tous frères et sœurs malgré leur langue ou la couleur de leur peau. Et entre eux, la masse silencieuse qui suivra les directives de celui qui parle le plus fort pour être déchargée de l’obligation de prendre parti. Finalement, il y a ceux qu’on ne voit pas parce les autres les excluent.