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Critique de Dossier-de-l-Art


Figure emblématique de la résistance civile pendant la Deuxième Guerre mondiale, Rose Valland a publié son témoignage en 1961. Elle y raconte son rôle lors du pillage d'oeuvres d'art organisé par les nazis à Paris de 1940 à 1944. Tableaux des musées français, collections de familles juives, de réfugiés ou d'opposants politiques : la majorité de ces oeuvres spoliées aboutissaient au musée du Jeu de Paume où elles étaient expertisées, triées, puis envoyées en Allemagne (parfois détruites aussi, comme symboles « d'art dégénéré »). Attachée de conservation au musée, Rose Valland fit ce qu'elle considérait son devoir, mais qui n'allait pas de soi : elle espionna auprès des transporteurs, des gardiens, des Allemands eux-mêmes, dressa des listes, enregistra les passages et les départs lorsqu'elle le pouvait. Ce travail de fourmi, mené au péril de sa vie pendant quatre ans, permit dès 1945 de retrouver un certain nombre d'oeuvres. Pour les fameux « Monuments Men » américains, qu'un film récent a remis en lumière, les renseignements donnés par Rose Valland furent décisifs : ils permirent aux forces alliées de récupérer au moins 60 000 oeuvres d'art dispersées sur le sol allemand et d'en rendre une partie à leurs propriétaires. Ce récit, qu'elle publia sous le titre le Front de l'art, vient d'être réédité et augmenté d'introductions historiques, de photographies, ainsi que d'un appareil critique solide. le texte est en lui-même une épopée captivante, quelquefois haletante : avec une rare économie de moyens, la narratrice y relate le transfert des collections françaises dans des refuges provinciaux avant la déclaration de guerre et leurs pérégrinations chaotiques devant l'avancée de l'ennemi. On assiste avec elle à la mise en place de rouages administratifs proprement extravagants, destinés à saisir les oeuvres, les classer et finalement les voler purement et simplement. Les passages où elle explique la manière dont elle arrivait à ruser avec l'ennemi sont parfaits de vérité dans leur quotidienneté glaçante. le chapitre narrant la libération de Paris, à la fois lyrique et désabusé, est d'une grande finesse d'analyse. Mais finalement ce « roman vrai » est encore intéressant par ce qu'il ne dit pas, ou ce qu'il suggère. À la manière d'une lointaine cousine de Patrick Modiano, Rose Valland évoque sans y paraître les arcanes de toute une économie marchande parisienne et européenne qui naquit de l'Occupation et du trafic d'oeuvres. Au détour d'une phrase, elle cite aussi les meubles, les papiers personnels, les « confiscations » de masse qui laissent les appartements des familles juives vides de tout et « l'invraisemblable randonnée des archives françaises » dans les territoires allemands. Il faut donc aujourd'hui lire ou relire avec un oeil neuf Rose Valland, qui fut une des pionnières françaises de la « récupération artistique » mais qui comprit surtout très tôt le prix de la mémoire et la manière d'en retrouver les traces.

Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 508, janvier 2015
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