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Critique de Aquilon62


Ce livre est un petit chef d'oeuvre, un trésor - de connaissances - , une pépite - d'anecdotes - , une merveille qui à sa place dans toute bibliothèque d'amoureux des livres et d'h(h)istoire(s), un joyau d'écriture qui renferme tant de réflexions toutes aussi éclairantes et érudites les unes que les autres. 

C'est un livre brillant. Qui nous en apprend sur ce qui fait la communauté des "babelionautes" : le livre et son histoire.
"La passion du collectionneur de livres ressemble à celle du voyageur. Toute bibliothèque est un voyage ; tout livre est un passeport sans date de péremption".

"Si un livre est un voyage, le titre sera la boussole et l'astrolabe de ceux qui s'aventurent sur ses chemins Cependant, il ne fut pas toujours là pour orienter les voyageurs. Les premiers récits, les plus anciens, arrivèrent au monde sans titre, ni nom". Alors petite explication sur son titre : il fait référence au roseau qui a constitué l'une des premières surfaces d'écriture, le papyrus. Le rouleau de papyrus représenta une fantastique avancée. Après des siècles de recherche de supports et d'écriture humaine sur de la pierre, de l'argile, du bois ou du métal, le langage découvrit finalement son foyer dans une matière vive. 

Le premier livre de l'Histoire est né quand les mots, à peine des bulles d'air, trouvèrent refuge dans la moelle d'une plante aquatique. Face à ses ancêtres inertes et rigides, le papyrus dès le départ un objet flexible, léger, prêt pour le voyage et l'aventure et quelle aventure !!!. 
Malheureusement, le papyrus était sujet à la destruction, qu'il s'agisse d'incendies, d'insectes ou de pillages. il faut considérer comme miraculeux, grâce à la passion, de nombreux lecteurs anonymes que des oeuvres aussi formidables, que les classiques aussi vulnérables, soient arrivées jusqu'à nous "en longeant le précipice des siècles".

La naissance de la philosophie grecque coïncide avec le début des livres. Face à la communication orale qui avait cours à cette époque, l'écriture permit de créer un langage complexe que les lecteurs pouvaient assimiler et méditer tranquillement. Développer un esprit critique est plus simple pour celui qui a un livre entre les mains — et peut interrompre sa lecture, relire, s'arrêter pour réfléchir — que pour l'auditeur captivé par un aède. 

Alors si vous voulez en savoir plus sur l'histoire du livre, en apprendre sur le rôle des Grecs et des Romains dans notre histoire d'amour mutuelle du livre, ce livre est fait pour vous.

Dans la première partie l'auteure s'intéresse à l'héritage des Grecs qui ont fait beaucoup en plus que de créer la démocratie. Leurs écrivains ont créé la base de la civilisation occidentale. 
Les philosophes : Platon, Aristote et Diogène ; 
les dramaturges : Euripide, Aristophane et Eschyle
les historiens : Hérodote, Plutarque, Xénophon et Thucydide
les romanciers : Achille Tatius, Longus ou Ésope et ses fables animales. 
Et n'oublions celui par qui tout aurait commencé Homère et qui est présent dans l'ouvrage comme un fil d'Ariane. 

Suit une galerie de portraits de personnages, de lieux ou d'inventions qui firent beaucoup pour cet objet que nous tenons en main, et pour la propagation du savoir :
- Tout d'abord un jeune homme du nom d'Alexandre a décidé qu'il voulait diriger le monde. Il l'a fait et a obtenu le nom de "le Grand". Il parcourait les routes d'Afrique et d'Asie sans se séparer de son exemplaire de l'Iliade, qu'il consultait, d'après les historiens, pour y glaner des conseils ou pour nourrir sa soif de grandeur. Pour Alexandre la lecture, comme une boussole, lui ouvrait les chemins de l'inconnu. 
- Ensuite un de ses généraux, un homme appelé Ptolémée, qui dirigeait l'Égypte, créa la première bibliothèque à Alexandrie. Pour la première fois, un endroit gardait plusieurs des grands « livres » en un seul endroit. Son bibliothécaire a même créé un système pour garder une trace de tous ces « livres ».
- Callimaque le père des bibliothécaires remplissant les premières fiches bibliographiques de l'Histoire — sûrement des tablettes. En s'inspirant des bibliothèques babyloniennes et assyriennes et de leurs méthodes d'organisation, mais il alla beaucoup plus loin que tous ses prédécesseurs. Il traça un atlas de tous les écrivains et de toutes les oeuvres. Il résolut des problèmes d'authenticité et de fausses attributions.
- Antiphon qui fut un véritable pionnier.Il avait appris que les discours, quand ils sont efficaces, peuvent agir puissamment sur l'état d'esprit des gens : ils bouleversent, réjouissent, passionnent, apaisent.Et qu'il fallait faire parler celui qui souffre sur les raisons de sa peine, car c'est en cherchant les mots que parfois on trouve le remède


Mais aussi des lieux, avec Alexandrie point de départ. Là, où l'argent des rois et l'engagement des savants permirent un grand travail de conservation et de protection. Les Grecs comprirent que les mots fragiles des livres étaient un héritage dont leurs enfants et petits-enfants auraient besoin pour expliquer la vie ; que quelque chose d'aussi éphémère — le dessin d'une bulle d'air, la vibration musicale de nos pensées — avait besoin d'être préservé en pensant aux générations futures ; que les histoires anciennes, légendes, contes et poèmes étaient le témoignage de quelques aspirations et d'une façon de saisir le monde qui refusait de mourir 

La vision des savants de la bibliothèque d'Alexandrie fut de comprendre qu'Antigone, Oedipe et Médée — ces êtres d'encre et de papyrus menacés par l'oubli — devaient voyager à travers les siècles ; que des millions de personnes pas encore nées ne pouvaient en être privées ; qu'ils inspireraient nos rébellions, nous rappelleraient combien certaines vérités peuvent être douloureuses, nous révéleraient nos plis les plus sombres ; qu'ils nous gifleraient chaque fois que nous serions trop fiers de notre condition d'enfants du progrès ; qu'ils resteraient importants pour nous. Pour la première fois, ils envisagèrent les droits des générations futures.

La seconde partie est consacrée aux Romains qui étaient doués pour l'appropriation. Romulus a "volé" la terre de son frère en tuant Remus. Les Romains ont "volé" les femmes des Sabines voisines et, ce faisant, ont créé un vaste empire, "volant" d'autres terres. Ils ont "volé" la terre des Grecs mais ont respecté leur littérature. Un bon aristocrate connaîtrait le grec et le latin. Mais avec leurs auteurs
Les poètes : Virgile, Ovide, Horace ;
les historiens : Tite-Live, Tacite ;
les orateurs : César, Cicéron ;
les dramaturges : Terence, Plaute, Sénèque ;
les  romanciers : Apulée
Même liste, mais personnes différentes.

Voler mais entre guillemets car pour la première fois, "une grande puissance ancienne assumait l'héritage d'un peuple étranger — et vaincu — comme un ingrédient essentiel de sa propre identité. Sans culpabilité, les Romains admirèrent la supériorité grecque et osèrent explorer leurs découvertes, les intérioriser, les protéger prolonger leur onde de choc. Cette entreprise de séduction a eu d'énormes conséquences pour nous tous. C'est là qu'a parut le fil qui unit notre présent au passé, et nous relie à un monde éteint magnifique. Au-dessus, comme des funambule les idées, les découvertes scientifiques, les mythes, les pensées, l'émotion, et aussi les erreurs et les misères de notre histoire marchent d'un siècle à l'autre. Nous avons appelé classiques toutes ces paroles en équilibre dans le vide. À cause de la fascination qu'elle exerce toujours sur nous, la Grèce survit comme le kilomètre zéro de la culture européenne."

Irene Vallejo a un talent brillant pour parler de toutes ces histoires gréco-romaines et les relier à notre monde contemporain.

Qu'est-ce qui empêche une histoire de sombrer dans l'oubli ? Quelqu'un crée une histoire, elle est copiée, traduite, vendue dans les librairies, stockée dans une bibliothèque, échangée, transportée à l'étranger, enseignée .

Ni le savoir ni toute la littérature ne tient dans un seul cerveau mais, grâce aux livres, chacun de nous trouve les portes ouvertes à tous les récits et à toutes les connaissances. On peut penser, comme l'avait prédit Socrate, que nous sommes devenus une poignée de prétentieux ignorants. Ou que, grâce aux lettres, nous faisons partie du cerveau le plus grand et le plus intelligent ayant jamais existé. « de tous les instruments de I'homme, le plus étonnant est, sans doute, le livre. Les autres sont des extensions de son corps. le microscope et le télescope sont des extensions de sa vue ; le téléphone est une extension de la voix; puis nous avons la charrue et l'épée, extensions de son bras. Mais le livre est différent : le livre est une extension de la mémoire et de l'imagination. »

Alors que les textes des anciennes civilisations tombaient dans l'oubli au fil des siècles et, dans le meilleur des cas, furent redéchiffrés bien longtemps plus tard, l'Iliade et L'Odyssée n'ont jamais cessé d'avoir des lecteurs. 

En Grèce commença une chaîne de transmission et de traduction qui ne s'est jamais brisée et a réussi à entretenir la possibilité de se souvenir et de converser à travers le temps, la distance et les frontières. Nous lecteurs d'aujourd'hui, nous pouvons nous sentir seuls, au milieu de la frénésie, quand nous cultivons nos lents rituels. Mais nous avons derrière nous une longue généalogie et nous ne devrions pas oublier que, sans nous connaître, nous avons participé, entre autres, à un fantastique sauvetage.

On doit aux livres la survie des plus belles idées fabriquées par l'espèce humaine, sans les livres, les plus belles choses de notre monde seraient tombées dans l'oubli et nous, LECTEURS, y participons, chaque jour en partageant nos critiques en relevant des citations qui nous marquent. Homère serait fier...

Tout comme Homère chantait des chansons à son public (comme le dit l'auteure : "Lire, c'est écouter de la musique faite de mots"). Tellement simple et basique. Nous enseignons aux autres à suivre nos traces, afin qu'ils puissent apprécier la lecture et transmettre cette passion des livres. Homère serait fier...
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