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Critique de aleatoire


Ne pensez pas que la vie ordinaire soit la vie tranquille.

J'avais hâte de lire les confidences de celle avec laquelle, depuis près de dix années, j'ai (presque) chaque jour, week-ends et grandes vacances exceptés, rendez-vous. Ce ne sont pas des cinq à sept, plutôt des dix à onze. Adèle van Reeth c'est une voix (mais pas que), douce, suave, indulgente, espiègle, des silences aussi, ceux qu'elle sait distiller à l'écoute de ses invités sur ces Chemins de la philosophie. La voix, sa tessiture, dont un philosophe (j'ai oublié son nom) confiait sur cette même France Culture qu'elle était plus essentielle que le contenu qu'elle annonçait...

Normalement, les trouvant par trop impudiques et ennuyeuses, je fuis les histoires de familles mais le récit de la normalienne m'invitait à la démythifier. Je me suis toujours demandé en effet qui étaient ces intellectuels et autres leaders d'opinion, avaient-ils trouvé la recette du métier de vivre, vers quelle transcendance s'élevait leur existence, dans quels endroits cette caste allait-elle dîner lorsqu'elle quittait les loges de Roland Garros ou au terme du dernier acte à l'opéra ? Et d'ailleurs se nourrissait-elle, allait-elle à la selle ou bien, pur esprit, ne se substantait-elle que de la monade chez Leibniz ? N'évoluait-elle que dans ce seul statut de "la vie en mieux" dont Truffaut caractérisait le cinéma ?

Eh bien non, outre le fait que l'auteure, par le détail, nous dévoile sa manière de pisser dans la nature, elle nous livre également sa façon d'être "belle mère" de trois enfants et, non sans un accouchement long et douloureux (certains praticiens exigent encore de la femme de mettre bas dans la douleur) son rapport tendre à la maternité.
Elle révèle aussi sa relation parfois difficile (pléonasme ?) avec son compagnon et cette fameuse "charge mentale" que subissent les femmes en leur foyer dans une société toujours patriarcale .
C'est, il me semble, un livre de femme empreint de beaucoup de sincérité et d'émotion, à l'endroit d'autres femmes, en une sorte de complicité sororale. Est-ce donc ainsi que les femmes vivent ?
Et en parallèle, l'erratique élaboration d'un livre, autre maïeutique, la vie et l'écriture.
L'intérêt de ce récit en est la façon d'expliciter comment une femme tente d'accorder sa vie, sensuelle, familiale, intellectuelle, professionnelle, de donner , à défaut de sens, un mouvement à ces répétitions, de s'arracher à l'immanence, à l'absurde vers la finitude, sans que jamais ou presque, la philosophie (Emerson, Thoreau, Cavell, Rosset) ne résolve sa problématique :" le soin qu'ils ont mis à n'apporter aucune réponse aux questions que je me posais est sans doute ce qu'ils m'ont légué de plus cher."

Pour l'anecdote, une de mes amies, intello, se désolait parfois de soirées avec certains de mes acolytes : "ça ne décolle pas" se lamentait-elle, cependant qu'aussi elle savait claquer la malheureuse porte de mon réfrigérateur en s'exclamant :" il n'y a rien à bouffer dans ton putain de frigo !" Tel est le difficile chemin de crête du quotidien, le paradoxe et l'aporie de nos exigences pour appréhender le réel et dans un subtil entre-deux, tenter d'unifier le corps et l'esprit.

Voilà donc, à défaut de l'essentialiser, un viatique pour aider à améliorer l'ordinaire (qui signifie mise en ordre), à se colleter avec les choses de la vie et leur intranquille contingence.

"l'existence ne contient ni mystère ni transcendance, ce que nous voyons n'est pas l'apparence qui cache une essence secrète, c'est tout ce qu'il y a à voir, le monsieur qui fait la queue au supermarché, la bordure du trottoir, les feuilles qui tombent ou qui poussent"

Et cependant, au delà de l'implacable lucidité, la consolation demeure :

"Dans la lumière chaude de fin de journée, le soleil, la mer et les rochers ne font qu'un, un monde qui n'a pas besoin de moi et que j'aime plus que tout."




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