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Critique de MarianneL


Témoignage incertain rescapé d'une humanité disparue, par un homme résistant avec pour arme ultime, le langage.

Manuscrit énigmatique retrouvé dans un futur lointain et indéterminé, le récit principal de «Charøgnards» est précédé de quelques pages de commentaires qui débutent ainsi, dans une langue singulière qui rappelle l'inoubliable «Enig marcheur», et dont la force captive d'emblée :

«OUVERTISSEMENS
Il est de l'hystoire tréfọnds que nous provient ce documens hørs pӕr que le lectans apprėte à cọnsommer.»

Semblant transposer de façon beaucoup plus vaste et forte «Les oiseaux» d'Alfred Hitchcock, ce manuscrit anonyme, témoignage précieux d'une «civillusion» aujourd'hui évanouie, évoque l'effritement puis la dislocation de l'homme – extinction fantasmée par un narrateur sombrant dans la folie ou récit d'événements réels.

Alerté le premier par des signaux faibles d'une menace, le narrateur a tout consigné dans un journal, compagnon instinctif de papier et de mots pour témoigner de la présence des oiseaux, sombre menace inexpliquée, et au fil des pages de plus en plus oppressante.

«On les trouve habituellement dans les champs, en lisière de route, dans les bosquets. Ils fuient, méfiants, dès qu'on les approche. Bientôt les rôles seront inversés.»

Pourtant les médias restent mystérieusement silencieux sur ces événements, absents du flux habituel anesthésiant d'information et de publicité qu'ils diffusent. La menace est-elle ignorée volontairement ou bien imaginaire ?
Le silence des médias fait écho aux non-dits d'un récit qui ne dit pas le pire, mais qu'on peut néanmoins entrevoir dans ses failles.

Face aux nuées de corbeaux, de freux et autres charognards, dans l'attente d'une guerre qui ne se déclare pas, le doute menaçant se transforme en certitude, avec les métastases de ce cancer noir qui deviennent apparentes, disparition des proches, réalité qui s'effondre.

«Depuis quand sommes-nous entrés sans retour dans l'ère de l'universelle charogne ?»

Poussé par une nécessité à raconter ce noircissement du monde, le narrateur, présent en amont et en aval des événements, est celui qui voit et sait, peut-être épargné pour témoigner des ruines d'une humanité et d'un langage dont la dislocation semble inéluctablement liée.

«Bientôt, c'est tout ce qu'il me restera : ces mots qui boivent ma hantise et mes peurs, à qui je confie ce que je n'ose appeler cette histoire –
mon unique arme
cette langue charogne et moribonde – ces mots qui me reviennent de loin, usés, éreintés, rongés
que je m'approprie, que je polis et nettoie jusqu'à l'os, jusqu'à ce qu'ils ne veulent plus rien –
dire qu'ils ne peuvent plus rien.»

Premier roman impressionnant de Stéphane Vanderhaeghe, à paraître le 3 septembre chez Quidam éditeur, et dont une version douce pourrait être le «Demain les chiens» de Clifford D. Simak, «Charøgnards» évoque l'angoisse de la perte du futur, avec les humains devenu un mythe lointain, survivant par le biais de cet unique texte. Ce récit d'une beauté noire et énigmatique, témoignage d'un homme au bord de la folie, vision d'une humanité proche de l'extinction, rappelle aussi les thèmes chers à Antoine Volodine.

Récit porteur en filigrane d'images tristement familières de charognes et de marée noire, en écho à la catastrophe contemporaine d'une humanité ankylosée par la consommation et la télévision, «Charøgnards» reste jusqu'à son extinction un récit énigmatique, qui se lézarde en même temps que le monde, et dont il faut souligner la fascinante mise en page en miroir du récit – dislocation et blancs qui envahissent le texte.

A noter que Stéphane Vanderhaeghe sera l'invité de la librairie Charybde pour le lancement de son roman le 11 septembre prochain.

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/08/14/note-de-lecture-charognards-stephane-vanderhaeghe/
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