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Critique de Levant


Année 1900, l'exposition universelle qui se tient en France consacre la tour Eiffel comme symbole de Paris. Elle n'est déjà plus cette horreur qui a scandalisé bon nombre de parisiens onze ans plus tôt, à vocation d'être démontée. La fée électricité tient pavillon en vedette dans l'exposition et fait de Paris la ville lumière. Notre capitale domine la vieille Europe à l'apogée de son rayonnement international, avant de basculer sur le versant du déclin. La première guerre mondiale lui donnera le coup de grâce et ouvrira la voie aux États-Unis avec leur arrogante réussite économique. La suprématie traverse l'Atlantique.

La toile du monde est le troisième ouvrage d'une trilogie qu'Antonin Varenne consacre à son héroïne Aileen Bowman. J'ai manqué les deux premiers. Ce n'est pas rédhibitoire, celui-là peut se lire indépendamment. Il sera en revanche peut-être plus difficile de revenir en arrière. Reste que cet ouvrage est un bel exercice de style, et se suffit à lui-même.

Bien malin qui peut, au débarquement d'Aileen Bowman au Havre en 1900 afin de couvrir l'événement de l'exposition universelle pour son journal le New York Tribune, préjuger des péripéties qui émailleront son séjour en France. Elle ignore alors qu'elle transporte dans ses bagages les problèmes de société dont son pays aimerait bien se défaire.

Après avoir exterminé les indigènes à la peau rouge et cantonné leurs survivants dans des réserves, les américains s'essaient maladroitement au remord en affichant de l'intérêt pour leur traditions, sans omettre toutefois l'exploitation commerciale de leur culture. C'est ainsi que le Pawnee Bill's Show est présent à l'exposition universelle de 1900, sur fond campement indien reconstitué, avec des acteurs sang mêlés qui ont encore du mal à se faire à l'idée d'être exposés en vestiges d'une culture révolue, que l'assimilation est leur seule chance de survie. Aileen Bowman qui retrouve aux pavillons des États-Unis un cousin métissé, se rend compte que l'exposition universelle, c'est aussi cela : la transposition de problèmes de société qu'elle croyait avoir laissés derrière elle. Ce parent aigri donnera une tournure inattendue à l'intrigue.

La Toile du monde porte bien son titre. C'est la fresque d'une ville en vedette mondiale, laquelle déploie ses charmes pour séduire son public. C'est d'ailleurs sous cet angle qu'Aileen Bowman la décrira dans les chroniques qu'elle vendra au journal féministe parisien La Fronde. Sous sa plume, la vieille ville est une catin qui s'enorgueillit de voir le monde à ses pieds, ultime sursaut d'une coquetterie défraichie, au crépuscule de sa gloire.

Ce titre a, à n'en pas douter, été inspiré par les oeuvres de Julius LeBlanc Stewart, artiste peintre bien réel celui-là, qui s'est fait voler la vedette par les surréalistes conquérants. Repus d'un figuratif qui a épuisé les ressources de son réalisme, les amateurs d'art se tourne désormais vers un imaginaire qui ne se plie quant à lui à aucune règle, aucun code moral. A l'instar des moeurs du 19ème siècle, devenues lasses du convenu tous rideaux tirés et font oeuvre de chair au grand jour. Gustave Courbet avait ouvert le bal avec son célèbre tableau. La toile du monde est donc un roman qui ne doit pas seulement sa sensualité au spectacle d'une capitale en exhibition. Les corps y prennent leur part et s'ouvrent à la volupté assumée des années folles.

C'est aussi un roman qui consacre l'explosion industrielle. Fulgence Bienvenue ouvre la première ligne de métro. Les parisiens se pressent sur des trottoirs roulants. Rudolf Diesel lance son célèbre moteur tant décrié aujourd'hui, et le cinéma trouve dans l'exposition universelle l'événement qui le fera passer de curiosité technique au rang de 7ème art. Il nous permet aujourd'hui de mesurer la taille de l'événement avec ses premiers reportages disponibles sur la toile, sur internet celle-là. Ce roman est bien la fresque d'un monde qui s'apprête à basculer dans le monde moderne. Ce que confirme aussi cette belle aventure singulière entre deux femmes qui tentent d'afficher encore timidement leur émancipation. Bienvenu au 20ème siècle, avec un bien beau roman.
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