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Critique de Woland


El paraíso en La Otra Esquina
Traduction : Albert Bensoussan, avec la collaboration d'Anne-Marie Casès et le concours de Stéphane Michaud, spécialiste de Flora Tristan

ISBN : 978-2070429295

Pourquoi réunir, objecteront certains, Flora Tristan et Paul Gauguin dans un parallèle biographique que son auteur a voulu le plus fidèle possible mais dans lequel, bien entendu, il romance un peu et nous décrit entre autres de superbes paysages maoris et les images, tout aussi splendides, de l'art du peintre, mort pratiquement méprisé de tous le 10 mai 1903, aux Marquises ? Depuis quelques années, un autre "rebelle à la société" est venu le rejoindre : si vous voulez vous incliner un jour sur la tombe de Jacques Brel, eh ! bien, vous verrez qu'il repose non loin de la tombe de Gauguin.

Pourquoi, donc ? Tout simplement parce que la première, révoltée exclusivement sociale, n'est autre que la grand-mère maternelle du second, révolté à la fois social et artistique, qui fut le chef de file des "Nabis" et dont l'influence se retrouve dans le futur 'Fauvisme".

Gauguin était en effet le fils d'Aline Chazal, seule enfant survivante d'Albert et de Flora Chazal, née Tristan ou plutôt Tristán, laquelle descendait par son père de riches propriétaires terriens péruviens. Certains soutiennent encore qu'elle était le fruit illicite des amours de sa mère avec Simón Bolivar. Ces rumeurs, qui courent toujours, sont évidemment invérifiables mais Flora aimait à les affirmer authentiques car cette pionnière du féminisme, qui eut l'idée d'allier la cause de l'exploitation des ouvriers et celle de l'exploitation des femmes, était, il faut bien le signaler tout de même, un tantinet mégalomane.

Il n'en reste pas moins vrai que Paul Gauguin - et moi-même, j'avoue, à ma grande honte, que je l'ignorais - était le petit-fils de Flora Tristan, décédée à Bordeaux en 1844, à 41 ans, et qu'il passa une partie de son enfance chez son grand-oncle maternel, au Pérou, le très riche, très avare et très puissant don Pío Tristán. Les chapitres impairs sont consacrés à Flora, que l'on voit entreprendre, en 1844, sa dernière "tournée" en France, et les pairs à Gauguin et à sa transformation en "Koké le Maori." Des retours en arrière nous permettent de saisir des reflets du passé de l'une comme de l'autre, ce temps où Flora était une femme au foyer (comme on dirait aujourd'hui) amoureuse folle de son Albert mais dégoûtée par le sexe dès probablement sa nuit de noces, et Paul un trader (comme on dirait aujourd'hui aussi ) que s'arrachait les banques.

Car Gauguin avait le don de l'argent. Jusqu'au jour où le Don, l'Autre, celui qui n'a qu'une majuscule mais qui surclasse tous les autres, le Don de l'Art, qui couvait en lui sans que, apparemment, il le sût (à moins qu'il se forçât inconsciemment à l'ignorer) le frappa, un peu comme l'ange dans ""La Vision Après le Sermon", toile qui date de son séjour à Pont-Aven et qui peut être considérée comme le chef-d'oeuvre qu'il peignit durant cette période.

Si Gauguin, renié par les gens du monde de la finance et même d'ailleurs par certains peintres, a eu des doutes sur sa décision (doutes que nous dépeint d'ailleurs Vargas Llosa), cela ne l'a pas empêché de quitter la France pour la Polynésie française et Tahiti. Il souhaitait retrouver là-bas une Nature et une civilisation que le progrès n'avait pas encore atteintes. Rongé, à compter d'un certain âge par la syphilis qui devait finir par l'emporter en détruisant lentement son corps, son long (et passionnant) séjour à Tahiti où il peignit, entre autres toiles que l'on doit connaître, "L'Esprit des Morts Veille", après le décès du bébé qu'il eut avec sa première femme tahitienne ou "D'Où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?", est ici raconté avec moult détails que l'auteur dans des pages qui restituent à merveille l'univers onirique, à la fois si proche et si éloigné de celui du schizophrène de génie et de peintre suicidé sans gloire que fut Van Gogh, que la magie de son Don transmuait en passant par la magie du pinceau, sa certitude et son obsession d'aller encore plus loin en s'installant aux Marquises (il est alors, sur le le plan santé, quasi "en phase terminale") tient au fait que, à la longue, il trouve Tahiti contaminé par la société occidentale et bien-pensante. Aux Marquises, il s'apercevra là encore qu'il s'est trompé. Gauguin, un peu comme Brel dans "L'Inaccessible Etoile", veut toujours "aller plus loin" - tout à fait comme sa grand-mère Flora d'ailleurs. La perfection ...

C'est celle, inexorable et en même temps miséricordieuse, de la Mort, qu'il trouve enfin aux Marquises, dans cette "Maison du Jouir" qu'il avait bâtie de ses propres mains et dont il avait orné le jardin de deux cruels "totems", celui du prêtre catholique du lieu et de sa maîtresse supposée, Teresa. de nos jours, elle a été reconstituée là où fut construite l'originale, à Atuona et, bien sûr, si vous avez la chance d'aller aux Marquises, ne manquez pas de la visiter. Visitez aussi, plus proche de vous et cela vous permettra d'admirer ma région natale, que Gauguin, ce fanatique des couleurs, aimait pourtant beaucoup ;o), à Clohars-Carnoët, la Maison-Musée du Pouldu, tenue au XIXème siècle par Marie Henry, surnommée "Marie-la-Poupée", qui acceptait que tous les peintres de Pont-Aven logeassent chez elle et se satisfaisait de leurs toiles pour tout paiement. Croyait-elle en leur talent ? Y retrouvait-elle sa Bretagne à elle malgré tout ? En tous cas, la France artistique lui doit beaucoup, assurément ... Et Gauguin aussi ...

Pour en terminer avec "Le Paradis - Un Peu Plus Loin", disons que c'est un livre peut-être inégal (plus inégal que "La Fëte au Bouc") mais si j'écris ceci, cela tient en partie, à mon sens, au fait que la personnalité de Flora Tristan y est admirablement dépeinte et que nous rencontrons une certaine gêne à la découvrir bien plus étriquée et, pire, bien plus puritaine que celle de son petit-fils. Ce qui n'enlève d'ailleurs rien à la noblesse de sa "Quête" personnelle : il lui en a fallu, du cran, pour la poursuivre, sous Louis-Philippe La Poire o) . Les lecteurs s'amuseront sans doute à chercher et trouver des points communs entre Gauguin et sa grand-mère maternelle, point positifs (la Foi, plus mystique il est vrai chez Gauguin, quoiqu'il s'affirmât athée, comme sa grand-mère), points ambigus, tantôt qualités, tantôt erreurs (l'entêtement et une propension à la colère que la carrure masculine du peintre - c'était un baraqué - rend certainement redoutable physiquement alors que, chez Flora, elles demeurent verbales (mais tout aussi terribles et écrasantes de mépris), tantôt négatifs (une déresponsabilisation absolue envers la famille, même si Flora a certainement aimé ses enfants, et une manie épouvantable de bougeotte.) Et n'oublions pas que tous deux étaient bisexuels - tous les défauts, on vous dit ! ;o)

Enfin, peut-on qualifier le désir d'aller plus loin, toujours et malgré les coups et les chutes, surtout chez une pionnière du féminisme (du vrai féminisme ) et d'un des plus grands peintres du monde comme un défaut ? Ils cherchaient, c'est tout et se refusaient parfois à voir que, en cherchant ce qu'ils sentaient tous deux mais sur quoi ils ne pouvaient vraiment mettre un nom ou même une image satisfaisante pour le peintre, ils faisaient mal à ceux qui les aimaient.

"Le Paradis - Un Peu Plus Loin" ne juge ni l'une, ni l'autre. Ce n'est peut-être pas le meilleur ouvrage de Vargas Llosa mais il donne en tous cas en vie de mieux connaître Gauguin - et sa grand-mère aussi. (Enfin, pour moi, c'est surtout Gauguin qui m'a fascinée.)

Lisez-le donc, ce livre, et laissez-vous bercer par la merveilleuse poésie qui s'en dégage, au-delà du réalisme de certaines scènes. Ah ! Et, en fond sonore, pourquoi pas "Les Marquises" de Brel ? ... Vous ne devriez pas regretter ... Bonne lecture ! ;o)
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