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Critique de Charybde2


Rares interstices urbains, marchandisation cynique du mystique, poésie tribale de la dissolution.

Publié fin août 2013 chez Fayard, le septième ouvrage de Philippe Vasset réussit une brillante synthèse, enlevée, des deux thématiques principales de ses travaux antérieurs : la géographie des espaces vides, abandonnés ou interstitiels dans un tissu urbain et péri-urbain toujours plus dense, toujours plus surchargé de sens devenu vide ("Un livre blanc", 2007 ; et déjà, en fait, "Carte muette", 2004), et la marchandisation désespérée d'activités diverses et improbables ("Journal intime d'un marchand de canons", 2009 ; "Journal intime d'une prédatrice", 2010 ; voire, déjà, "Exemplaire de démonstration", 2003).

Le narrateur, qui est peut-être celui du "Livre blanc" justement, fasciné par les friches industrielles, bâtiments abandonnés, espaces "hors la ville et hors la frénésie", se trouve en voie de paisible clochardisation, moitié par inadaptation au rythme et à la violence d'une civilisation prônant toujours plus sans le dire le lemming habillé Cerruti comme idéal social, moitié par volonté insidieuse de retrait personnel, est enrôlé par une vieille connaissance, écrivain mondain sur le retour, qui cherche à monter, juteux business, une secte, dont la partie "croyances fondamentales" est totalement secondaire, l'habillage mystique important et plutôt facile, mais le choix de lieux de culte, de célébration et de fête hallucinée autrement plus central et délicat, d'où le rôle de l' "expertise" accumulée par le narrateur.

Cette "business research" en amont du projet est ainsi l'occasion d'une savoureuse revue du "marché" de la secte et de la transe mystique, avec cette verve cynique et hautement crédible techniquement qui enchantait déjà le lecteur (lassé des palinodies de tant d'écrivains contemporains prétendant décrire de l'intérieur les pratiques de la grande entreprise ou de la haute finance, mais n'en proposant qu'une vision convenue, tronquée et souvent bien malhabile) du "marchand de canons" (marchandisation de la violence d'État ou de bande organisée, univers de la grande multinationale) ou de la "prédatrice" (marchandisation du réchauffement climatique, univers du fonds géant d'investissement).

Las, tandis que le projet avance doucement, mais patine beaucoup (ce marché n'est finalement pas aussi simple qu'il le paraissait de prime abord, au grand dam de l'écrivain en voie de reconversion et de quête effrénée d'argent facile), le narrateur, à force de fréquenter toujours davantage de lieux urbains propres à des célébrations ésotériques sauvages et rémunératrices pour leurs instigateurs, entre en fascination de plus en plus puissante avec l'occupation "invisible" de locaux d'entreprise réels, et absolument pas abandonnés.

Un glissement progressif d'univers, du "gros" interstice de la friche urbaine au "minuscule" interstice du placard à lessiveuses industrielles, dans lequel le narrateur va progressivement perdre, volontairement, son identité résiduelle, devenant sans le chercher le guide d'une étrange tribu s'agrégeant autour de lui, nouveaux nomades, chasseurs et cueilleurs, hantant les immeubles de bureaux et les appartements bourgeois la nuit, se fondant dans le décor le jour, libres et "nus". de cette errance, l'écriture de Philippe Vasset parvient à extraire à la fois une étonnante crédibilité (sur une pareille prémisse !) et une indéniable poésie.

Une lecture salubrement dérangeante sur le fond, hautement jouissive à chaque page, et nimbée d'une beauté bien mystérieuse.
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