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Critique de Root


Root
02 septembre 2020
« Je crois que si nous pouvions remonter à l'instant qui précède la perte d'un être cher, nous trouverions tous un mot à prononcer ou un geste pour alléger les esprits. »

Teresa a toujours été dans l'ombre d'Angelina. La cadette des soeurs a hérité de la beauté de leur mère et son aisance en public fait oublier son jeune âge. Teresa, elle, se contente de cette distribution des rôles, mais Angelina aspire à plus. Elle aime le luxe, a l'oeil qui brille devant les belles étoffes et ne saurait considérer un malheureux sans fortune. Elle sait déjà qu'elle ne vivra pas dans une ruelle et n'embrassera pas la vie miséreuse de ses parents, elle n'a que faire de la bonté des paysans.

Tandis qu'Angeli' rêve de taffetas, de joues poudrées et de cheveux en cascades, Teresa observe avec attention le va-et-vient des femmes qui animent la maison — ici, la porte est ouverte à tous. Aimante mais réservée, on aurait pu douter que ce fût elle qui s'acclimate le mieux à l'équilibre familial brisé par la guerre.

Car Nardi Sozzu, le père, parti au front, chaque jour qui passe amenuise leurs maigres ressources. Caterina, la mère, se fait alors embaucher par le baron Personè, propriétaire de toutes les terres du village, pour pouvoir remplir les assiettes. On dit l'homme fasciste et coureur de jupons, et sa vue n'inspire que crainte et dégoût. C'est un déchirement pour cette femme modeste et respectable que de vendre ainsi son âme au diable, mais en ces temps difficiles, l'argent n'a pas d'odeur. Ce pour quoi le baron l'emploie ? Nous n'en saurons rien. Peut-être certaines choses méritent-elles d'être passées sous silence.

De retour au pays à la fin de la guerre, Nardi Sozzu ne parvient pas à joindre les deux bouts et brûle de révolte face aux inégalités que subissent les villageois. C'en est assez de tout laisser aux riches, des coups de bâton en échange du labeur. Secondé par le neveu de la makara, la sorcière du village, seul héritier de la vieille femme venu s'installer à Copertino apres qu'elle a fermé les yeux, Nardi Sozzu entame une violente lutte de pouvoir qu'il ne maîtrisera pas longtemps… et qui gangrénera son propre foyer.

La mélancolie m'a serré le coeur de la première à la dernière page. J'ai vécu, à travers le regard de Teresa, femme et mère à l'heure où elle revient sur ses souvenirs douloureux, les crises qui l'ont dévastée, et souvent, je n'ai pas été capable de prendre catégoriquement parti. J'ai souffert avec les femmes de la famille Sozzu, sans pouvoir blâmer Angelina pour ses ambitions de sortir de son rang ni déchoir Caterina pour son sacrifice. J'ai ressenti toute la peine de Teresa, murée dans le silence devant une mère qui s'éteint doucement, perdant la lumière que lui jalousaient toutes les femmes alentour. Et j'ai compris la colère de Nardi. Nardi prêt pour son dernier voyage, prêt à rejoindre Angelina, fauchée en plein envol à 22 ans seulement. J'ai besoin qu'on m'implique dans une histoire, qu'on me permette de m'interroger, et Rosa Ventrella m'a offert cette place privilégiée que tout lecteur est en droit d'espérer. À la fois chronique sociale et familiale, ce roman dénonce, avec pudeur et intensité (l'une des forces de l'auteur), les injustices de tous bords dans une Italie meurtrie par la guerre. Chaque personnage est travaillé avec le même soin et tous m'ont touchée à leur façon. Je retiendrai, parmi les « petits rôles », la coiffeuse. Certains temps de réflexion sont nécessaires, pour mesurer le poids des actes, les conséquences des choix. Des choix qui sont interdits lorsqu'on ne les prend pas en son seul nom, mais en celui de sa famille.

Après Une famille comme il faut, l'auteur réitère la question de l'appartenance et de comment celle-ci détermine l'avenir, coupant l'herbe sous le pied à l'individualité. Cruel et dense, sous ses allures d'ancienne légende contée un soir au coin du feu, La Liberté au pied des oliviers marque le coeur et la conscience. Avec une mention spéciale à Anaïs Bouteille-Bokobza pour sa magnifique traduction parsemée d'italien, qui préserve l'identité du texte.
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