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Critique de LaBiblidOnee


Si l'on compare ce roman à un monument littéraire, disons alors que ses vices de construction se révéleront, selon le lecteur, fatals à la lecture, ou au contraire insignifiants. Bâti sur un solide quasi-monologue, cimenté par une plume sûre, enlevée, soutenue par des phrases qui s'étalent comme des pensées trop longtemps retenues, parées de jolies images et tournures… il repose sur des fondements juridiques instables qui, avec un tel titre en couverture, menacent de faire écrouler l'ensemble. En tant que lecteur, vous serez donc seul juge : L'édifice va-t-il selon vous en pâtir et s'écrouler ou bien, parce que vous trouvez le narrateur sympa et le reste du récit bien planté, laisserez-vous l'architecte de cette histoire s'en tirer à bon compte, avec l'intime conviction d'avoir passé un bon moment de lecture et que, finalement, justice a été faite…?


Kermeur, le narrateur, est l'invité d'une partie de pêche par le riche propriétaire d'un bateau de plaisance… quand en pleine mer, il jette son hôte à l'eau, abandonnant son corps aux poissons et autres monstres marins. Aucun doute ne plane sur sa culpabilité. Mais pourquoi et comment en est-il arrivé là ? lui demande désormais le juge d'instruction devant lequel il doit expliquer son acte. Or raconter, c'est justement ce que souhaitait Kermeur après avoir retenu trop longtemps ce qui le rongeait .


C'est dans le bureau du juge que se déroule tout le dialogue. Mais le récit de Kermeur est ailleurs : sur la côte, à son ancien travail, dans sa maison, son mariage, ses espoirs et ses rêves déchus, déchirés, piétinés. Au bord de la noyade, il suffoque, il étouffe et puis se livre, nous livre et décortique, pour notre plus grand plaisir, l'enchainement de faits et sensations ayant causé son geste fatal et désespéré - que jamais il ne (re)nie. Aux rares interventions du juge succèdent des réponses fleuves de l'accusé, captivantes, qui finissent toutes par se jeter dans l'océan où a péri la victime, bien à sa place dans ce panier de crabes. Même si la note menace d'être salée.


Car n'existait-il pas d'autres solutions ? Peut-il y avoir de bonnes raisons de tuer, de se faire justice soi-même ? L'accusé lui-même n'y croit pas vraiment. le lecteur, qui peut-être s'est attaché un peu à lui, comprend pourtant ses envies de meurtre, faute de pouvoir cautionner un passage à l'acte, qui rendrait acceptable que tout le monde puisse tuer tout le monde. Mais c'est au juge, finalement, qu'il appartient de rendre une ordonnance motivée, orientant la suite de l'affaire vers un non-lieu ou un jugement. C'est alors que l'auteur part en vrille dans un scénario final juridiquement abracadabrantesque, pour un effet de style juridique et dramatique dispensable.


Si le but était d'amener le lecteur à juger Kermeur à la place du juge, en son âme et conscience, il existait certainement d'autres moyens plus vraisemblables et réels. Alors le lecteur devra s'inspirer du mal nommé article 353 du Code [de procédure] pénale, qui en appelle à l'intime conviction des jurés d'Assises (et non du Juge d'instruction…) et l'appliquer à sa lecture : Est-ce que le final d'une histoire, ancrée dans la réalité, doit être plausible pour que l'histoire ait un sens ? Ou l'auteur peut-il dénouer son histoire n'importe comment juste pour l'esbroufe ? Qu'est-ce que cela apporte à l'histoire ? Y-a-t-il une morale à en tirer ?


Au total, pas sûre que le titre qui ouvre le bouquin, et l'article de loi qui le clôture, rendent justice à ce roman qui demeure, par ailleurs, plus honorable que certains juges… Est-ce que j'ai pour autant envie de jeter ce livre à la mer ? Non, parce que j'ai pris mon pied tout le reste du récit, le style de Tanguy Viel valant le détour. Et car le lecteur, lui, peut juger un livre selon sa plus intime conviction ; Or la mienne me souffle que, si la fin m'a agacée, ce n'est pas un motif pour tuer la réputation de ce livre. Alors même s'il est coupable de ma déception, la peine devant rester proportionnée au crime, c'est sans rancune que je lui laisse 4 étoiles et sans honte que je vous invite-même à le lire pour vous forger votre opinion ! Lisez ce livre pour son récit, et ignorez tout à la foi le titre et la pirouette finale douteuse de l'architecte. Au moins en vous vendant ce livre, ses vices ne vous sont pas cachés, qu'ils soient de construction ou de procédure !


*** EDIT***
En parlant avec vous, je révise une partie de mon jugement : l'auteur a modifié le contenu réel de l'article, de manière à le plier de manière plus ou moins « cohérente » à son histoire, même si je trouve que le procédé n'est pas à la hauteur du reste.
La note ne change pas vu que je trouve toujours la fin trop facile (autant pour le romancier que pour ses personnages), dangereuse, trompeuse (pour le lecteur) et immorale.
Mais si je devais réécrire ce billet, je ne parlerais probablement plus de vice de construction.
En ce qui concerne la moralité de l'histoire de Kermeur… Ca demeure plus que jamais à chacun de s'en remettre à son intime conviction…!
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