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Critique de allezvousfairelire


Un livre très bien fait, accessible à tous, excellemment documenté et mené. Seul défaut de l'écriture de l'auteur, une tendance à revenir sur ses pas et donc à se répéter, mais c'est commun à de nombreux chercheurs. Une lecture enrichissante.

Pour un résumé studieux et une légère mise en perspective :

Georges Vigarello interroge et bouscule les conceptions communes sur la propreté des siècles passés, ou plutôt leur saleté. Il s'attaque ainsi à des préjugés répandus par les représentations erronées d'âges sombres comportant tous les vices, mais aussi selon ses propres dires, colportés par « une tradition historiographique [qui] tente depuis longtemps [d']assurer [l'erreur d'assimiler la pratique du bain et des étuves à une pratique de propreté, et de faire de sa disparition un recul de l'hygiène] ». Il entend donc corriger des fautes d'interprétation qui servent et sont servies par des a priori culturels profondément ancrés dans les mentalités.

En effet, tout son ouvrage est sous-tendu par l'idée que la propreté, quand bien même elle serait mise en oeuvre par des procédés différents de nos ablutions modernes, n'est pas absente de ces sociétés du Moyen Âge et De La Renaissance. Pour ce faire il étudie les pratiques de l'hygiène à la lumière de la conception du corps, dont les attributs de force et de malléabilité, de public et d'intimité, sont très variables selon les époques. Il étudie également les pratiques de l'hygiène en regard de la perception de l'eau, qui passe d'un terrain de jeux à celui du mélange des fluides et des humeurs, avant d'être celui de la purification, longtemps attribuée à l'air, et notamment à l'air chaud. Il étudie, en outre, l'aspect social de la propreté, qui n'est un terme que tardivement intégré au vocabulaire ordinaire.
Il s'attache ainsi à démontrer que la toilette et l'exigence de propreté se sont déplacés sur le terrain des sensibilités, passant progressivement d'une exigence visuelle et olfactive à un ressenti personnel de la peau ; il démontre combien les normes et les codes sociaux se sont intériorisés avec le temps.

Ainsi la « science de la culture » mise en oeuvre dans le propre et le sale tient de la prise en compte de tous les pans de l'époque permettant d'éclairer les pratiques de la propreté : c'est la culture au sens large telle que voulant définir une société entière, dans ses aspects les plus organiques comme les plus intimes, qui est ici utilisée comme outil d'interprétation. Les lois et règlements édictés ; les témoignages privés de voyageurs, nobles, moines, prédicateurs ; les restructurations architecturales urbaines ; les procès ; les publications de presse généraliste ou spécialisée sont autant d'éléments qui permettent à la culture de s'auto-éclairer, dans un retour sur elle-même.

SUR LES SOURCES

Les sources auxquelles Vigarello fait appel permettent une visualisation technique et concrète des mécanismes et habitudes passées. Parmi elles, on trouve des sources officielles. Mais on trouve en grande majorité des préceptes de santé et de bonnes moeurs, et, plus tard, des extraits de l'encyclopédie, des Hygiènes des familles et populaires (p. 210 par ex.).

Vigarello use également de l'histoire matérielle en étudiant les listes des « riches inventaires du Moyen Âge », et très fréquemment, des éléments d'architecture, d'aménagement urbain et de plomberie viennent renseigner son propos.

Les sources de l'auteur rendent cependant principalement compte des perceptions des élites, ce qu'il prend régulièrement la peine de rappeler. Ainsi, les témoignages privés sur lesquels il s'appuie sont souvent ceux de la noblesse ou a minima d'une population éduquée. de même, les sources issues de la culture artistique (peinture et littérature) éclairent les milieux dont ils sont issus, souvent nobles ou bourgeois. Il en va de même pour les anecdotes historiques. Cela ne signifie pas que l'angle de recherche adopté est vicié, mais le ressenti de la masse par rapport aux exigences de propreté est rendu par le biais des sources légales, ou organisationnelles d'une part, et par le spectre potentiellement déformant de la population « haute » d'autre part. L'étonnement d'une part de la population quant aux us d'un autre groupe social est tout aussi instructif sur les moeurs de l'époque.

Les sources les plus directes sur le ressenti populaire sont finalement la presse, et quelques témoignages d'enfance. La presse généraliste et spécialisée donne des éléments sur ce qui se faisait en venant proscrire et prescrire, en réaction aux usages. Les témoignages d'enfance, comme celui de Dürer (p. 40) donne une idée en l'occurrence, de la vermine qui pouvait accompagner la population partout.

SUR LA RELATIVITE CULTURELLE

Vigarello prend des précautions d'interprétation lorsque les sources sont trop peu nombreuses et peu fiables pour en tirer des conclusions, comme sur la question, fin XVIe, de la régularité du lavage du linge. Les conjectures sont présentées comme telles, les sources ne sont pas sur-interprétées.
Cela participe de son effort constant qui consiste à insister sur la relativité culturelle. S'il corrige notre vision de l'absence supposée de propreté médiévale, il prend soin de nous montrer, à l'opposé, les encouragements alarmistes des hygiénistes à tout récurer avec soin, qui ont conduit à nos habitudes d'hygiène d'aujourd'hui, où l'on lave tout à grande eau même sans saleté visible. Les préceptes d'hygiènes apparus alors ne sont pas stricto sensu nécessaires, mais le mal est fait, car l'imaginaire des populations s'est déjà peuplé de petits « monstres » : c'est cet imaginaire collectif que Vigarello pointe du doigt comme source, encore aujourd'hui, de nos pratiques de propreté, comme en témoigne aussi (c'est mon ajout, mais cette citation en rappelle d'autres de Vigarello) Pagnol :

« Il faut dire qu'à cette époque, les microbes étaient tout neufs, puisque le grand Pasteur venait à peine de les inventer, et [ma mère] les imaginait comme de très petits tigres, prêts à nous dévorer par l'intérieur. »

Ainsi Vigarello parvient-il à son objectif de retracer un « itinéraire » de l'histoire de la propreté, le long duquel s'accumulent des contraintes tandis qu'en disparaissent d'autres, et le long duquel, surtout, s'affinent progressivement les sensibilités, et la perception du corps, toujours trouble, qui est au coeur de cette étude.
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