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Critique de motspourmots


Seules les plumes légères peuvent se permettre les sujets les plus lourds. Faire jaillir la lumière par la magie d'une phrase, au détour des mots les plus sombres. Angélique Villeneuve possède cette grâce, c'est évident. La Maria qu'elle anime pour nous est un concentré d'amour, d'espoir et d'humanité, malgré les épreuves, malgré ceux qui l'entourent et font le monde gris là où Maria voit des couleurs.

Maria est une jeune grand-mère que rien ne comble plus que le temps passé avec Marcus, son petit-fils de trois ans. Malgré la relation compliquée avec sa fille Céline et son gendre qui entendent bien appliquer des principes novateurs en matière d'éducation et de famille. Classique me direz-vous ? L'opposition entre mère et fille sur l'éducation des enfants, on connaît... Eh bien, non, pas si classique. Céline et Thomas sont bien décidés à ne pas imposer de genre à leurs enfants et à les laisser choisir eux-mêmes. Si Marcus est bien un garçon aux yeux de tous, il n'est pas rare que ses parents le laissent s'habiller avec une robe et coiffer ses longs cheveux en tresse. Quant au nouveau bébé qui pointe son nez, ils décident de ne pas dévoiler son genre, tout simplement. C'est un bébé et il s'appelle Noun. Même Maria est tenue à l'écart, ne peut approcher le bébé qu'en présence de ses parents. Autour, c'est l'incompréhension. Famille, voisins se révèlent incapables de faire face à cette situation et l'hostilité devient palpable. Pour Maria, c'est le désarroi qui prime, le désespoir d'être éloignée de ses petit-enfants, le manque des moments privilégiés qu'elle partageait avec Marcus, l'hostilité et la méfiance des voisins qui rejaillit sur elle. Cette situation atypique agit comme un révélateur sur les comportements des personnes qui entourent Maria ; car l'amour semble-t-il n'est pas inconditionnel.

Avec beaucoup de finesse, Angélique Villeneuve interroge sur nos façons d'aimer, pointe cette manie que nous avons de vouloir formater les autres à notre image, nos difficultés à admettre les différences. C'est une question millénaire qu'elle parvient à brillamment renouveler par le prisme de cet angle de vue inédit et très intelligent. Que faut-il savoir de l'autre pour l'aimer ? Maria et Marcus aiment admirer ensemble les oiseaux, et peu importe que Marcus porte une robe ce jour-là. Seuls les regards que posent les autres sur lui dérangent, et ce sont ces regards que Maria voudrait lui éviter.

Avec Maria, Angélique Villeneuve nous offre une nouvelle fois un concentré d'émotions qui passe par les sens et convoque la nature comme une consolation. Déjà dans Nuit de septembre, l'importance des arbres que l'on retrouve ici enrichis des oiseaux qui ornent leurs branches. Et l'on a envie de suivre Maria, on a envie de plus de Maria sur terre, de plus de gens qui discernent les couleurs des gens, celles qui viennent de l'intérieur.

"Maria sait la couleur des gens, la couleur des sons et des odeurs. Les couleurs invisibles sont son secret et son privilège. William, par exemple, est d'un pourpre dense et terreux, Céline d'un gris très doux. Une brillance d'oignon rouge jaillit de Thomas, et de la mère de Maria l'orange d'une fleur de souci. Son père n'avait pas vraiment de couleur, ou alors elle ne s'en souvient plus, n'a pas eu le temps de la percevoir. Alain, lui, vibrait d'un brun de pain brûlé qui se muait parfois en long grésillement. Pour Maria, la frontière est mince qui sépare les odeurs et les sons. Et puis, bien sûr, il y a Marcus. Marcus est d'un vert splendide, celui d'une soupe de cresson saturée de crème, celui de la première peau d'une fève. Ce soir-là, le vert de Marcus est un baume qui, dans la cuisine, l'aide à reprendre pied."
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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