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Critique de jlvlivres


« L'Enéide » traduite, une fois de plus, mais cette fois en prose par Paul Veyne (2012, Albin Michel, 432 p.)

c'est autant une critique (ou une comparaison) avec le projet de nouvelle traduction sous la direction de Marie Cosnay


Le poème inachevé de Virgile, extrêmement long (12 chants, environ 10000 vers) est considéré comme étant le plus important de la littérature latine. Virgile voulait chanter les épreuves du « pieux Énée » devenu l'« exilé prédestiné » du premier vers, puis promu l'ancêtre mythique du peuple romain. Et ceci depuis la prise de Troie à son périple pour fonder Rome en Italie.
Le but de Virgile était de distraire son lecteur, tout en racontant à sa manière la chute de Troie et les errances de Enée jusqu'à son arrivée en Italie. On aura donc droit à des moments de grande aventure, tout aussi batailleuse que sentimentales. Ainsi la prise de Troie (chant II), la passion de Didon (chant IV) qui fournira la matière à Henry Purcell pour son « Dido and Aeneas » popularisé par la voix de Barbara Hendricks. Puis les grands moments des funérailles d'Anchise (chant V) suivies de la descente aux Enfers (chant VI), où Enée va revoir tous les héros morts, à la recherche de son père. La suite est plus « historique » avec la description du bouclier d'Énée (chant VIII), la blessure d'Énée (chant XII) et la mort de Turnus (chant XII) qui termine le cycle, cependant inachevé par la mort de Virgile.
On pourra lire la traduction qu'en a faite le poète irlandais Seamus Heaney, du moins du chant VI « Aeneid Book VI » (2016, Farrar, Straus and Giroux. 112 p.). Descente d'Enée aux Enfers. Enée arrive à Cumes et rencontre la Sibylle qui va lui confirmer les prophéties faites à Anchise. Il avait auparavant publié « New Selected Poems 1988-2913 » (2015, Faber & Faber, 240 p.). dans lequel le poème « Route 110 » comporte 12 suites de 12 vers, allusion claire à l'Enéide. Seamus Heaney narre le trajet du bus qu'il prenait lorsque, étudiant, il rentrait chez lui entre Belfast et « Cookstown via Toome and Magherafelt». On a donc bien les douze chants, comme chez Virgile, qui décrivent successivement le voyage, les Enfers, la rencontre éphémère avec l'amour, les morts plus ou moins glorieuses, et finalement la mission de vie qui doit s'ensuivre.
Cette nouvelle traduction est presque un roman d'aventures alerte et divertissant, bien plus amusant qu'un simple poème épique académique écrit uniquement à la gloire de Rome et d'Auguste par un Virgile vieillissant. Cette idée de « roman nationaliste » est en fait une interprétation du XIXeme siècle, qui a provoqué le dédain du poème


Le texte de Paul Veyne, en prose (2012) (chant I, 1-11)
Je vais chanter la guerre et celui qui, exilé prédestiné (tout a commencé par lui), vint des parages de Troie, en Italie, à Lavinium, sur le rivage. Lui qui, sur terre et sur mer, fut longtemps le jouet des puissances célestes, à cause de la rancune tenace de la cruelle Junon ; qui eut tant à souffrir de la guerre, pour fonder à ce prix une ville et installer ses Pénates dans le Latium. D'où la nation latine, Albe et ses Anciens, et les murailles de la noble Rome. Muse, dis m'en les raisons : quelque divinité offensée ? Quelque grief de la reine des dieux, qui aura amené un homme d'une piété insigne à parcourir un pareil cycle de malheurs, à affronter autant d'épreuves ? de pareilles rancunes en des âmes célestes ?

Dans la traduction de Marie Cosnay (2021), en fait une traduction de Danielle Carlès, sous la direction de Marie Cosnay. Cette dernière se charge du chant III (le périple d'Enée)
Je chante les combats et le héros qui le premier, des bords de Troie parti / fugitif, par ordre du destin est venu en Italie et aux rivages / de Lavinium. Durement malmené et sur mer et sur terre/ par le pouvoir de ceux d'en haut et Junon enragée, à cause de sa colère inoubliable, / il subit aussi nombre d'épreuves à la guerre pour fonder sa ville / et porter ses dieux au Latium. de là procède le peuple latin, / nos pères albains et les murs de la haute Rome. / Muse, rappelle-moi ses raisons : quelle offense à son pouvoir, / quelle douleur a incité la reine des dieux à plonger dans un tel cercle / de hasards un héros incomparable par sa piété, à le jeter au-devant / de tant d'épreuves ? Les âmes célestes ont-elles de si violentes colères ?
Qui reprend la traduction de Jordane Bérot (2014)
Mes chants : d'armes, d'homme qui premier des bouches de Troie / Enfui (les destins !) est venu à l'Italie, aux côtes / Laviniennes. Ballotté fut-il, et beaucoup, par terres et mers : / Pouvoir d'En-Haut, colère à mémoire de Junon-la-Sauvage. / Enduré, beaucoup aussi, à la guerre, jusqu'à fonder la Ville, /Installer au Latium les dieux. de là : race des Latins, / Pères Albains, hautes murailles pour Rome. / Muse, rappelle-moi pourquoi -en quoi lésée ?- / de quoi blessée, la reine des dieux a dans de tels malheurs / Roulé, dans de telles peines précipité / L'homme d'illustre piété ? Tant est rage aux âmes célestes ?

Traduit par l'Abbé Jacques Delille (1804), texte plus ou moins de référence
Je chante les combats du héros prédestiné qui, le premier, / fuyant les rivages de Troie, aborda en Italie, près de Lavinium ; / longtemps sur terre et sur mer les dieux puissants / le malmenèrent, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon / Il endura aussi bien des maux à la guerre, avant de fonder sa ville / et d'introduire ses dieux au Latium, le berceau de la race latine, / des Albains nos pères et de Rome aux altières murailles. / Muse, rappelle-moi quelle cause, quelle offense à sa volonté, quel chagrin / poussa la reine des dieux à imposer à un héros d'une piété si insigne / de traverser tant d'aventures, d'affronter tant d'épreuves ? / Les âmes des dieux éprouvent-elles de si grands ressentiments ? / Muse, rappelle-moi quelle cause, quelle offense à sa volonté, quel chagrin / poussa la reine des dieux à imposer à un héros d'une piété si insigne / de traverser tant d'aventures, d'affronter tant d'épreuves ? / Les âmes des dieux éprouvent-elles de si grands ressentiments ?

Le texte latin (19-29 avant JC)
Arma uirumque cano, Troiae qui primus ab oris / Italiam, fato profugus, Lauiniaque uenit / litora, multum ille et terris iactatus et alto : ui superum saeuae memorem Iunonis ob iram / multa quoque et bello passus, dum conderet urbem, / inferretque deos Latio, genus unde Latinum, / Albanique patres, atque altae moenia Romae. / Musa, mihi causas memora, quo numine laeso, / quidue dolens, regina deum tot uoluere casus / insignem pietate uirum, tot adire labores / impulerit. Tantaene animis caelestibus irae ?
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