La mélancolie est un point de côté dont on se défait difficilement.
J'ai beau lutter, il arrive que la mauvaise foi me saisisse.
Elle réveille mes penchants les plus sombres.
Je l'avoue, j'aimerais parfois balayer le mont Blanc d'un revers de main, lui trancher la cime, le décapiter comme on fouette une vulgaire montée d'œufs en neige. J'aimerais qu'il en bave et qu'il dégage du paysage, qu'il cesse d'être le plus haut sommet des Alpes, qu'il ravale ses 4 807 mètres, qu'il fasse profil bas, bref, j'aimerais bien le rayer de la carte, qu'il s'écrase.
Cela dit, ma colère retombe.
Et le mont Blanc demeure.
Selon l'écrivain espagnol Enrique Vila-Matas, dans la vie comme dans les livres, les rires et les pleurs sont toujours mêlés. La ligne de partage est vague, nous traversons une marée bouillonnante d'où il est extrêmement difficile de tirer le moindre parti mais, en fin de compte, mieux vaut rire de tout ça.
"L'humour se révèle parfois comme le seul sens de l'univers", dit-il.
Il cite aussi cette phrase de Moby Dick, lorsqu'un des personnages du livre de Melville dit : "Je ne sais pas où nous allons mais, de toute façon, moi j'irai en riant."
Dans les premiers instants, il y a eu un concert assourdissant de klaxons, répercutés crescendo par la voûte, chacun, bouclé dans sa voiture, cherchant à manifester son impatience, la volonté d'en sortir et son absurde angoisse. Il est à la fois effrayant et pathétique d'imaginer que le son d'un klaxon puisse en quoi que ce soit vous aider à sortir d'un tunnel de plusieurs kilomètres.
Vila-Matas, encore : "Mais on sait fort bien que, lorsque quelqu'un meurt, les choses continuent à exister : le soleil, l'eau qui s'écoule, le murmure des feuilles bercées par le vent ! Mais on sait fort bien que rien ne révèle plus la perte d'un individu que la vie qui continue dans le monde, s'éloignant de plus en plus des yeux qui ne peuvent plus le regarder !"
Et les condamnations sont tombées, sursis, pour la plupart, excepté Gérard Roncoli, directeur technique du tunnel, qui écopa de six mois ferme. La stupéfaction sur son visage, bouche ouverte, ses yeux ronds, égarés, et le sentiment d’injustice qui le submergeait, baigné de la certitude de n’avoir fait que son devoir et de porter le chapeau pour tous les autres, pour l’Etat et le système infernal qui engendre ces désastres.