Le congrès a duré trois jours. L’admiration un peu moins. On m’a demandé de lire mes textes dans notre langue. J’ai protesté : J’ai traduit mon texte en français ! Il est important que vous sachiez de quoi je parle.
Tu vas être étonnée. Ils m’ont répondu : Nous préférons vous entendre lire dans votre langue, nous aimons sa musique, comme la flûte de Pan, le violon tzigane. Moi : Mais vous n’allez pas comprendre ce que je veux vous dire ! Eux : Nous imaginons : la belle plaine du Danube, les chars tirés par les bœufs, les costumes folkloriques, vos si belles danses populaires ! Vous savez ? Nous connaissons et aimons votre pays. Nous avons passé une semaine à un congrès d’écrivains héros du peuple au bord de la mer Noire.
J’ai donc lu en roumain. Que personne ne comprenait dans l’assistance. Qu’ils ont trouvé splendide et « tellement slave » ! Je les ai déçus en leur précisant que nous parlions la seule langue latine de l’Est. J’ai dit à une consœur marocaine qu’il ne manquait plus qu’une chose : qu’ils me demandent d’interpréter une mélodie populaire à la flûte de Pan. Elle m’a confié que le plus sérieusement du monde, les organisateurs l’avaient priée d’exécuter une danse de son pays. Il s’agissait de la danse du ventre. Cela tombait bien : elle est homosexuelle et féministe.
Pour traduire « dor de ţara », je n’ai trouvé que « mal du pays ». Et si on a précisément pas mal ? Si c’est plus insidieux que ça, précisément comme le « dor » ? Nostalgie, mélancolie, ça existe encore mais pour « dor », cette tristesse de l’âme qui se languit, au-delà même de la souffrance, va chercher. On dirait la langue d’érudits essayistes qui n’ont ni boyaux ni cœur qui chavire. Nous, nous avons un langage de fibres, de tripes, de nerfs mis à vif. Le français n’est qu’une langue du cerveau. Faudra-t-il que je m’impute de tout le reste pour pouvoir réentendre ma voix ?
Ta lettre a mis quatorze jour. D’habitude ça ne prend qu’une semaine…Tu dois utiliser de mauvaises enveloppes, là-bas ils les fabriquent moins bien qu’ici, car ton pli s’est décollé pendant le voyage et une secourable postière de chez nous a été obligée de le recoller, très discrètement d’ailleurs. Il n’y aurait pas eu la petite marque que tu sais, c’était un travail comme neuf ! Quel sens esthétique pour une simple postière ! »
Une odalisque est une crétine enfermée dans un harem qui partage un mari violent avec une dizaine d’autres débiles de son espèce et qui passe son temps à montrer ses vertèbres superfétatoires à Monsieur Ingres.
Ici, j'ai tout le temps la nausée, le matin, le soir, en voiture, en montant les innombrables collines de Lausanne. Les gens sont pourtant gentils, l'air pur, le pays très beau. Mais je me sens mal partout et je n'arrive pas à vomir. A vomir quoi ? La bile, les souvenirs ? J'ai dû fauter avec le mal du pays. J'ai dû prendre par mégarde un bout en moi. Un petit bout de patrie qui doit être en train de traverser les premiers mois de sa gestation intra-utérine, ceux qui vous soulèvent le coeur.
Tout le monde a été adorable avec moi. Le colloque a duré trois jours, l’admiration un peu moins…..Ils m’ont répondu …. Nous connaissons et aimons votre pays. Nous avons passé une semaine à un congrès d’écrivains héros du peuple au bord de la mer noire