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Citations sur Les loups (82)

Ce doit être le dernier mail d’une soirée épuisante. Olena Hapko a l’impression qu’elle n’a pas dormi depuis vingt ans et elle sait que durant les cinq prochaines années ce ne sera pas mieux. Tant pis. C’est ailleurs qu’elle puise son énergie. Longtemps, ce fut la survie. La certitude d’être seule contre tous, la conviction qu’il faut avancer pour ne pas tomber, ne jamais montrer le dos, ne jamais attendre une main secourable. Ne compter que sur elle-même, elle a aimé ça. C’est ce qui lui a évité de devenir une moins-que-rien – vendeuse de vêtements, prof, scientifique sous-payée, qu’importe. Elle pourrait s’arrêter, se reposer. Mais elle n’est pas faite ainsi. Elle s’est prise au jeu : se battre, gagner, dominer, prouver sa force. Ils sont tous comme elle, d’ailleurs : le Gendre, le Chevelu, le Technocrate… Et même, d’une certaine façon, Ivanov l’ambassadeur. Ce sont des loups. Ils aiment l’odeur du sang plus encore que le goût de la chair arrachée.
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L'indépendance ukrainienne a été une nouvelle trahison de ce pleutre de Gorbatchev et des Occidentaux. A présent ceux-ci cherchent à attirer l'Ukraine dans leurs filets. A lui, Poutine, de rétablir la balance.
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Poutine ne prend aucun plaisir à humilier ainsi le pays voisin et ses habitants. Tout serait plus simple s'ils restaient à leur place, celle du petit frère docile et satisfait de son sort. A vrai dire, dans l'esprit du président russe, l'idée même de peuple ukrainien est une vue de l'esprit. Les Ukrainiens ne sont rien de plus qu'une copie, certes un peu brouillonne, des Russes. Un prototype qui a mal tourné.
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Semion demeure silencieux. Il plonge dans ses propres souvenirs. L’Union s’est écroulée peu après son retour d’Afghanistan. Pour lui, le choc a été double, en quelque sorte. Ses camarades et lui étaient partis pour une guerre qu’ils croyaient nécessaire et glorieuse. Ils pensaient rentrer en héros, comme avant eux leurs grands-pères revenus de Berlin. Ils n’avaient trouvé que mépris et indifférence : le pays les regardait comme des criminels et des parasites. Et puis le pays avait cessé d’exister, tout simplement. Il n’était plus question de rien d’autre que de survivre. Le capitalisme était venu tout recouvrir, et avec lui la quête désespérée du fric. C’est peut-être cela qui l’avait sauvé : comment s’apitoyer sur son sort quand c’est le monde entier qui se dérobe ? Ceux d’Afghanistan étaient passés dans la grande essoreuse en même temps que les autres, les mineurs, les métallos, les cadres du Parti, les mères de famille, les cosmonautes. Plus personne n’avait le temps de penser à ses états d’âme, à ses blessures. La guerre d’Afghanistan avait été reléguée à la préhistoire en une nuit et ceux qui l’avaient faite sommés d’oublier, quand bien même ils laissaient dans l’affaire une jambe ou un bras. Les plus fragiles s’étaient écroulés, dans la tombe ou tout comme, réduits à faire la manche, pendant que d’autres devenaient gangsters – hommes d’affaires pour les plus malins, hommes de main pour les autres.
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Setchine doit profiter de l’arrivée au pouvoir d’Olena Hapko pour résoudre définitivement le dossier gazier à l’avantage de la Russie, et accroître dans le même temps la dépendance de l’Ukraine vis-à-vis de son voisin. Le plan conçu par Moscou permettrait de passer la bride aux rêves ukrainiens d’émancipation. Année après année, les oligarques ukrainiens viendront manger dans la main des Russes pour obtenir leurs précieux rabais. Poutine ne prend aucun plaisir à humilier ainsi le pays voisin et ses habitants. Tout serait plus simple s’ils restaient à leur place, celle du petit frère docile et satisfait de son sort. À vrai dire, dans l’esprit du président russe, l’idée même de peuple ukrainien est une vue de l’esprit. Les Ukrainiens ne sont rien de plus qu’une copie, certes un peu brouillonne, des Russes. Un prototype qui a mal tourné. L’indépendance ukrainienne a été une nouvelle trahison de ce pleutre de Gorbatchev et des Occidentaux. À présent ceux-ci cherchent à attirer l’Ukraine dans leurs filets. À lui, Poutine, de rétablir la balance.
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Depuis le début des années deux mille, Kiev et Moscou ont multiplié les contentieux gaziers : dettes, volumes et tarifs pour le transit vers l’Europe. À plusieurs reprises, la partie russe a dû couper les robinets pour calmer les ardeurs ukrainiennes, s’attirant la colère des clients européens privés de gaz l’hiver. Le président russe a horreur de ces récriminations. Les plaintes des Européens privés de chauffage quelques jours le font doucement rire, lui qui a connu les rigueurs du Leningrad d’après-guerre. Et puis il sent que ses « partenaires » occidentaux sont trop contents de l’accuser, d’avoir enfin des arguments pour le traiter en barbare irresponsable. Ils l’ont toujours méprisé, ces petits-bourgeois soumis aux Américains et aux homosexuels.
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Nul mieux que les Ukrainiens n’a cette capacité à rouler douze heures d’affilée en gardant une mine égale. Peu avenante, mais à peine fatiguée.
Sur la route, les hommes sont souverains, prêts à défendre sauvagement leur espace vital, leur honneur et leur liberté. L’autre, le compagnon de poussière, vous doit le respect et a droit, en retour, aux mêmes égards : ne pas doubler dans la file d’attente, ne pas engager de conversation trop intime. La moindre incartade se résout par une bagarre. Pas besoin d’intimidations, de cris. On frappe sec et chacun trace sa route. La station WOG où Semion s’est arrêté, juste avant l’entrée de Bohdanivka, le rappelle de manière comique. À l’entrée, sur un présentoir, s’alignent des battes de baseball siglées aux noms de marques de voitures. L’heureux propriétaire d’une Mazda pourra balader dans son coffre une batte marquée Mazda, et ainsi inscrire sur la mâchoire d’un autre chevalier errant l’emblème de sa maison. Ledit propriétaire de la Mazda pourra tout aussi bien jeter son dévolu sur une batte Audi, et se sentir ainsi basculer dans une confrérie de plus haute noblesse.
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Valeri était relecteur dans une revue littéraire et porté sur la boisson. Arriver au travail avec la gueule de bois était alors tout sauf un problème. Après 1991, pour ceux qui avaient encore un travail, ça l’est devenu. L’heure était aux énergiques, aux débrouillards et aux sains d’esprit. Les sensibles, comme son mari, ont été les premiers à s’écrouler. Olena a assisté en direct à cette chute. Valeri attendait la fin de l’Union soviétique comme le messie. Il ne cessait de le clamer, de plus en plus ouvertement. Il se prenait pour un dissident, à adresser des regards noirs aux policiers chargés de la circulation. Il avait vécu les derniers mois fébrilement, il lisait tout, les journaux et les écrits des nouveaux poètes de la démocratie, participait à toutes les manifestations. Valeri le Sibérien s’était même pris de passion pour l’indépendance ukrainienne et ses promesses de nouvelle ère. Il s’est effondré quelques mois après le pays honni. La réalité qui s’est dessinée après 1991 était si différente de ce qu’il attendait… Elle l’a séché. Le brave homme a continué à se réfugier dans ses journaux, dans ses livres, mais le constat était implacable : il n’était pas fait pour le monde nouveau. Sa chère revue littéraire a tenu un temps, soutenue par un nouveau riche en mal de romantisme, puis elle a fermé. Au lieu de chercher à s’élever, Valeri n’a rien trouvé de mieux qu’un poste de gardien de musée. Et la boisson pour soulager sa peine. Olena a béni le destin qui leur avait refusé un enfant. Comment l’aurait-elle élevé, avec un père handicapé, dans cette époque cannibale ?
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– Qui fait la loi dans cette ville, selon vous ? Qui produit de la richesse ? Qui maintient l’ordre ? Je vais vous le dire… Les hommes de Kozilevski, qui tiennent le port et la mairie et ont la police avec eux. Ceux du Grec, sans qui pas un immeuble d’Odessa ne se construit et qui a fait alliance avec les types des services, le SBU. Sans oublier Karlov, qui fait de la contrebande avec la Transnistrie et s’occupe des marchés. Alors, on en fait quoi, de Karlov ? Sans lui, ce sera à nouveau la jungle sur les marchés, le racket des petits commerçants, la guerre ! Et le Grec ? Depuis Londres, sa capacité d’investissement est dix fois plus élevée que la nôtre. Combien de familles ses hôtels font-ils travailler ?
– Le même business, géré de manière honnête, fera vivre autant de familles, et en plus il rapportera de l’argent à l’État…
– Voilà, c’est ce vers quoi nous allons tendre, Ilia. Mais il faut de la patience, du doigté. Une ville comme Odessa, c’est un édifice très fragile. Alors le pays… Et si nous bousculons tout, qui prendra les places laissées libres, sinon les Russes ? Tu crois que tes gentils amis européens s’y retrouveraient, ici ? Les gens eux-mêmes ne sont pas prêts à des changements radicaux. Ils se lamentent sur la corruption mais ne savent pas vivre sans elle. Ils ne veulent pas se soumettre à un État impartial, à une loi aveugle… Ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur permette de se débrouiller, de bouffer. Nous allons changer les choses, progressivement, mais pour cela nous devons raffermir nos positions, prendre le contrôle des flux financiers les plus importants…
– Jouer aux parrains de la mafia, en somme ? Assurer l’équilibre entre les clans, pousser nos favoris, et de temps en temps vous me donnerez une réforme en cadeau, comme on donne un sucre à un chien ?
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– Oui, construire une route, ce n’est pas trop difficile. Vous trouverez l’argent, dans le pays ou en sollicitant nos amis de l’Ouest… Mais la moitié du budget sera volée et votre route sera de qualité médiocre. Après deux hivers, elle sera défoncée. C’est à nouveau en hélicoptère que vous viendrez, la prochaine fois, si vous revenez… Donnez-leur des fonctionnaires efficaces et honnêtes, des juges qui ne les humilient pas au quotidien, la possibilité de se soigner sans avoir à payer des pots-de-vin… Chassez les bandits ! Voilà ce qui changerait vraiment quelque chose pour ces gens. Ce n’est que comme ça que vous construirez une vraie route !
– Chassez les bandits ? répète Olena Hapko d’une voix sourde.
Sans un mot, elle se dirige vers la cabine du pilote et l’hélicoptère décrit un léger virage. Au lieu de se poser à l’aéroport d’Odessa, au sud de la ville, l’appareil vire vers le nord et survole les faubourgs. Sous le soleil, les immeubles impériaux du centre, déjà décatis mais toujours majestueux, se dessinent nettement, formant des rues aux angles droits parfaits. En retrait des escaliers Potemkine, derrière la statue de Catherine II, la silhouette ronde de l’Opéra. La Présidente se tourne vers son jeune conseiller.
– Combien d’habitants dans cette ville, Ilia ?
– Un million… tente Kirilenko.
– Précisément, un million de personnes, qui depuis deux cents ans vivent dans l’idée qu’il faut se méfier de l’État, qu’arnaquer son prochain n’est pas un crime, que la combine est une chose glorieuse… Même l’Union soviétique n’a rien pu contre ça ! Qui sont les bandits, ici, qui faut-il chasser ?
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