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Critique de lanard


Voici un drôle de livre, drôle parce qu'il amuse et drôle par sa composition étrange et désinvolte. Pour Vollard, l'idée d'écrire des mémoires eut été trop pompeuse ; loin de lui l'idée de composer sa vie en écriture. Rassembler des souvenirs en recueil convenait plus à son esprit collectionneur ; aussi, se laissa-t-il convaincre par un éditeur américain clairvoyant (Little Brown Books) de lui vendre l'exclusivité d'une autobiographie qui allait devenir ce drôle de recueil de souvenirs et anecdotes que l'auteur à néanmoins pris soin de classer en différents chapitres.
Le premier, tout logiquement, est le chapitre de son enfance passée sur l'île de la Réunion. Vollard ne s'y attarde guère mais son goût du pittoresque nous régale déjà de tableautins de la vie coloniale dans lesquels il recherche les prémisses de sa passion collectrice et son goût pour la couleur. Suivent deux brefs chapitres évoquant sa vie d'étudiant en droit à Montpellier puis à Paris où sa passion pour la peinture moderne allait s'affirmer très tôt. Il débuta dans le métier de marchand de tableaux au service d'Alphonse Dumas, patron marchand totalement dépassé par la vogue de l'impressionnisme qu'il méprise. Vollard s'y ennuie ferme mais peut mettre la main sur quelques toiles incomprises qui feront sa fortune quand il se mettra à son compte, rue Laffitte. Vollard ne se vante jamais d'avoir découvert Cézanne, Renoir, Degas, Monet, Manet ; d'autres, comme Victor Choquet, collectionnaient des Renoir et des Cézanne dès 1876, alors qu'il passait une enfance loin des arts à la Réunion. Vollard en toute modestie attribue sa fortune au génie des peintres qu'il admirait dans un contexte historique où naissait la spéculation sur les oeuvres d'art. Ce phénomène donne matière à des souvenirs amusants ; l'indécence spéculative n'avait pas encore atteint le paroxysme qu'on lui connaît aujourd'hui mais Vollard la décrit avec une ironie qui passerait pour cynique si l'on ne sentait pas en lui un mépris poli pour ces acheteurs incultes en recherche de placements. Ne cherchez pas non plus dans ces souvenirs de savantes digressions philosophiques sur l'art et le beau. Vollard n'est pas philosophe ; il se contente d'aimer sans trop se poser des questions.
Avec les souvenirs de Vollard nous sommes dans l'anecdote et le plaisir de raconter. Ce qui lui donne l'occasion de dresser une série de petits portraits d'amateurs d'art et de collectionneurs. Suivent deux chapitres qui feront le miel des historiens de l'art ; « Devant l'Olympia de Manet au Louvre » et le suivant qui est aussi le plus long ;« de Meissonier au Cubisme » . Dans le premier on découvre un Manet imperturbable devant la critique violente dont il fait l'objet ; son flegme aristocratique s'oppose aux tempéraments souvent sanguins et fougueux des autres que l'on découvre au chapitre suivant. Les "otres" (écrit Vollard pour imiter l'accent méridional de Cézanne) ce sont Cézanne lui-même, Renoir, Degas principalement mais bien d'autres aussi. J'ai cru sentir une affection particulière pour Degas ; cet espèce d'ours qui se fâchait s'il trouvait des bouquets de fleurs sur la table où il était invité - au mépris total des bonnes attentions de la maîtresse de maison. En tous cas, je ne regarderai plus un Degas de la même manière après avoir lu Vollard.
Mais on ne croise pas que des peintres dans le monde de Vollard ; on y croise quelque personnalités hautes en couleur tel le Sâr Péladan. Par ailleurs ce livre est un des rares qui nous fasse revivre Alfred Jarry.
Celui-ci me donne l'occasion d'évoquer l'autre métier de Vollard ; l'éditeur de livres de bibliophilie. Avec Jarry il conçu les « Almanachs du père Ubu », illustré par Bonnard. La dimension coloniale des almanach provient tout droit de l'enfance de Vollard – c'est là que j'en prend conscience. Sa première publication fut pour « Parallèlement » de Verlaine illustré par Bonnard. Il donna une édition du « Jardin des supplices » de Mirbeau illustrée par Rodin. Voulant offrir au Pape une de ses éditions de « l'Imitation de Jésus Christ » on s'aperçut trop tard que cet exemplaire contenait un cahier de « Parallèlement » ; deux cahiers avaient été interverti et le cahier de « l'Imitation » manquant se trouvait dans un « Parallèlement » vendu à quelqu'un qui trouvait amusant de le garder tel quel ; trente ans plus tard, ce bibliophile revendit son exemplaire à Vollard qui pu ainsi compléter le volume défectueux pour aller l'offrir au Pape à Rome. Cette anecdote est racontée dans le chapitre qu'il consacre à ses voyages.
Mais Vollard s'est aussi voulu auteur. On lui doit des livres sur les grands peintres qu'il a connu (Cézanne, Renoir, Degas) mais aussi, prolongeant le mythe créé par Jarry « les Réincarnations du Père Ubu », que la guerre lui inspira. On peut se demander si ces textes - aujourd'hui bien oubliés - ne sont pas à l'origine d'une lecture politique d'Ubu qui a assuré à ce personnage une popularité qui semble se renouveler encore au XXIème siècle.
Le chapitre XIII raconte la guerre et l'après-guerre ; d'aucuns pensèrent que l'impressionnisme n'y survivrait pas ; ceux qui lui survivront auront appris que la spéculation - qui se nourrit autant de bon beurre que de belles peintures - avait porté si haut l'impressionnisme qu'il jouit désormais d'une postérité mondiale encore bien vivante.
Allez comprendre pourquoi, dans la composition étrange de son livre, après un court chapitre sur les prix littéraires qu'il a voulu fonder Vollard le termine-t-il sur un chapitre consacré à un obscur personnage de la politique de son temps Eugène Lautier. Il lui consacre déjà quelques paragraphes au coeur de l'ouvrage au chapitre XII (Quelques personnalités), mais il faut que son livre – avant un épilogue – se termine pratiquement sur l'évocation de cette homme brillant et de belle prestance mais que le XXIe siècle à totalement oublié.
Mais ce dernier chapitre précède un épilogue si court et d'une ironie si féroce que je serais tenté de le recopier intégralement dans les citations. Mais je m'en abstiendrais - par pure paresse, croyez-moi, car vous en donner la primeur ne vous gâcherait en rien le plaisir que vous trouverez à la lecture de ces souvenirs.
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