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Critique de oblo


Trois siècles après notre ère, la guerre a tout ravagé. Les génocides, les meurtres de masse et les violences ethniques ont de nouveau bouleversé l'histoire humaine. Dans Poulailler Quatre, vaste ghetto où s'entassent les hommes et la crasse, où les araignées tissent leurs toiles solides et où les poules et autres volatiles mutants forment des groupes hostiles, vit Mevlido, un flic d'une cinquantaine d'années. Infiltré auprès de vieilles bolcheviques qui continuent de hurler leurs slogans, tandis que les tracts appellent à des attentats contre la Lune et que des attentats réels sont commis contre les anciens seigneurs de guerre, Mevlido est partagé entre le réel et les rêves, sans parfois bien les distinguer. Il vit aussi dans le souvenir de sa femme, Verena Becker, torturée et tuée vingt ans plus tôt par des enfants soldat, lesquels, aujourd'hui, sont traqués et massacrés.

De vieilles réminiscences lui reviennent en mémoire, souvenirs de vies d'avant ou de moments vraiment vécus : ne pas toucher les rats, ne pas parler aux araignées, ne pas parler à un psychiatre … Il faut dire qu'en réalité, Mevlido est en mission. Il a été envoyé par les Organes, organisation ou Etat mystérieux et puissant, pour constater l'évolution et surtout la déchéance des hominidés. Après un voyage particulièrement éprouvant, il est envoyé dans un nouveau corps, un corps d'homme, dans lequel il renaît intégralement, oubliant jusqu'à sa mémoire passée, jusqu'aux quarante années d'entraînement subi, et seuls quelques noms, quelques phrases et images lui reviennent parfois.

Dans le monde des hommes, Mevlido mène des enquêtes. Il bat son chef lors des séances d'autocritiques, il se soumet lui-même à cette pratique qui rappelle les Grands Procès de Moscou. Il partage son existence et son appartement étouffant avec Maleeya Bayerlag, folle à force de tristesse qui prend Mevlido pour son défunt compagnon, Yasar. Tous deux, ensemble, tâchent de traverser la vie et malgré une affection certaine entre les deux êtres, tous deux regrettent désespérément leur amour ancien.

La vie de Mevlido, ses errements, l'effondrement de son monde, tout cela est retracé par un de ses anciens camarades du centre d'entraînement, Mingrelian, dans des rapports-romans que personne ne lit. En Mingrelian, on pourrait voir un double de Volodine, notamment dans la description que le narrateur fait de son écriture : « L'art de Mingrelian, influencé par le post-exotisme, joue avec l'incertitude, l'inaboutissement, le brouillage des contraires, le néant. »

Tel pourrait être le résumé littéraire de Songes de Mevlido, récit à la fois onirique, poétique, brutal et amoureux, désespéré aussi, conteur d'une humanité en voie de destruction, d'une humanité recroquevillée sur elle-même, d'une humanité qui cède le pas à l'animalité. Volodine n'apporte pas de réponse ; d'ailleurs, il ne pose pas de question. Il peint un monde futur, terriblement inquiétant, et pourtant encore riche, qu'il évoque par touches, par sensation (celles de chaleur et celle d'humidité, affreusement omniprésentes). En tant que lecteur, on tâtonne dans ce monde autant que Mevlido tâtonne lorsqu'il est au volant du bus qui roule immobile. On se perd dans un monde sans visibilité, on s'accroche à Mevlido, qui nous guide sans savoir où il va.

Antoine Volodine semble livrer là une oeuvre extrêmement visuelle, comme un tableau littéraire que l'on découvrirait au fur et à mesure des pages tournées. Par sa force poétique, son évocation d'un futur désenchanté, le roman construit une parenté avec les oeuvres dessinées d'Enki Bilal. Et si de nombreuses significations, de nombreuses clés du roman m'ont probablement échappé, au moins reconnais-je là un roman marquant, puisque son empreinte imaginaire me semble particulièrement prégnante, voire obsédante.
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