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Critique de Filox


Filox
17 février 2023
Les sables savants, le titre de ce roman, porte en lui une tension, entre les grains, terme d'une longue histoire de roches soumises aux éléments et au temps long et son qualificatif « savants » qui donne du sens à son histoire et suggère de la cohérence à découvrir en tant que sujet d'étude et de connaissance, alors que l'objet « grain de sable » n'a pas, en tant que matériau, de cohésion. Il ne s'assemble de que de manière éphémère. Ainsi en est-il de la condition humaine, prise ici dans les rets d'une situation extrême.

Isabelle Vouin nous entraîne, avec brio, dans le suivi de destins croisés de quatre personnes , happées par la guerre, les hommes Emile et Edmond internés ensemble au fin fond de la Poméranie, Suzanne épouse et muse d'Edmond et Pédro grand traumatisé de la guerre d'Espagne qui sauvera Suzanne juive des nazis.

La grande originalité de la construction du roman est qu'il raconte la fabrique du roman qu'Edmond s'acharne à écrire en captivité dans l'objectif fou qu'il remporte le Grand Prix de Littérature, dans la continuité de son ambition d'écrivain parfaitement légitime avant la guerre.

D'une grande qualité littéraire, ce récit est en réalité le script d'une oeuvre découpée en plans comme un film, le lecteur, en tout cas cela a parfaitement fonctionné pour moi, voit, sent, réagit, aime , déteste, s'émeut, s'indigne, comprend comment l'activité intellectuelle soutenue par l'écriture, l'organisation de débats savants arrive à combattre les carences imposées implacablement aux corps dans la durée jusqu'à l'ultime goutte de vie, ce qui rend toujours possible la renaissance, l'espoir de renaissance déraisonnable mais bien réel.
Ce roman est principalement
celui du temps présent, il décrit ces parcelles de temps de vie intense, tous ces petits riens arrachés à l'enfer. Comme l'écrit joliment Isabelle Vouin, à propos de la dégustation, à la façon « Philippe Delerme », d'une petite gorgée de Château Brion, provenant d'un colis pour prisonnier de guerre, tout le bordelais est dans cette première gorgée, quelques secondes d'humain requalifie tout, restaure tout !

Je sors de la lecture de ce roman en étant renforcé dans l'idée que ce n'est pas l'histoire documentée, scrupuleusement étayée, même rendue accessible qui pourra transmettre la mémoire de ce que les survivants ne peuvent témoigner, mais bien la littérature. Cet aspect et la grande qualité de ce roman m'a beaucoup touché en ce sens. La mort, la puissance de l'amour sous toutes ses formes spirituelles, platoniques par nécessité, charnelles aussi , sont des thèmes traités, mis en scène avec grand soin, Isabelle Vouin maîtrise une large palette, en use et est parfois à la limite d'en abuser quelquefois.

Pour terminer, sans dévoiler le contenu mais en vous invitant à le découvrir, tant il est riche, subtil, original et à forte charge émotionnelle, pour son aspect universel également. Pour terminer, je reviens sur la forme. Isabelle Vouin dès les premières pages nous annonce l'essentiel et met ainsi en place un solide fil rouge, qui pour moi est un aspect essentiel : la préoccupation de ne pas perdre son lecteur et ainsi de s'autoriser à la complexité qui seule donne de l'épaisseur aux personnages, aux ambiances, à l'intrigue est la marque des plus grands. Isabelle Vouin que j'ai découverte, ainsi que les Editions du Jasmin, qui ont fourni un bel écrin à cette oeuvre, grâce à l'opération Masse Critique que je remercie au passage, en fait ou fera partie, je ne serai pas étonné qu'un Grand ? Prix Littéraire, un jour, rendrait prophétique son roman « Les sables Savants » et ma modeste critique du même coup !

Je reproduis pour illustrer mon propos la préface :
« Ne pas trop attendre des autres; mais ne pas en attendre trop peu. Cet homme capable de voler un morceau de pain, il est capable aussi bien d'offrir son dernier morceau de pain. Les hommes sont ainsi, mêlés de bons et de mauvais. » Georges Hyvernaud, in Carnets d'Oflag.
L'Ange ou la Bête, tout est dit…

Et voici l'inciput :
Lundi 4 novembre 1948, Restaurant Duron, Paris
12h20. Il pleut à peine. Un petit crachin. Une bonne averse aurait été préférable. Ou bien un de ces soleils blancs d'automne, une journée qui vous propulse vers la vie comme une tape dans le dos. Non, il pleut. A peine. Et e « A peine » est inquiétant. Fade. Gris. Mesquin. Ne pas commencer à voir des signes. Il nous arrive souvent de passer une bonne journée alors que tout laisser présager le contraire. Ce petit crachin ne va pas venir tout gâcher.

Ecrire ainsi est une grâce pour le lecteur, merci. Merci pour cette apologie des riens qui témoigne de la possibilité dépasser l'extrême, aux hommes réduits à l'état de « cafards » par les abjections nazies de garder envers et contre tout leur humanité.

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