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Critique de Deleatur


Eric Vuillard entretient avec l'histoire un rapport tout à fait fascinant. J'avais déjà été épaté par L'Ordre du jour, avec sa narration distanciée, le sens du raccourci dévastateur et le point de vue moral posé sur l'époque. Je ressors tout aussi impressionné de ma lecture de 14 Juillet.

Le sujet est ici le 14 juillet originel, la prise de la Bastille en 1789, proposant en deux cents pages tout rond d'envisager cette journée sous un angle radicalement autre. Oubliés, les récits glorieux et le détournement roublard accompli par l'historiographie du XIXème siècle, destiné à faire de l'événement le premier acte d'une révolution bourgeoise : on ne s'intéresse pas aux « grands hommes » dans le livre de Vuillard. On n'y trouve pas plus que quelques seconds couteaux de l'Histoire, et ils ne sont pas spécialement à leur avantage. Ce 14 Juillet-là est celui du peuple de Paris : deux ou trois dizaines de protagonistes qui se croisent et se recroisent à la faveur de cette journée, des noms que l'auteur a exhumés des archives pour leur rendre un fragment de vie. le lecteur ne se demande pas si ces éléments biographiques ont un fondement réel, car la chose n'a en vérité aucune importance : Vuillard ne prétend pas retracer des destins, il veut saisir l'âme du peuple. L'héroïne du livre est cette populace des quartiers qui environnent la forteresse, des malheureux qui ont toujours vécu dans l'ombre menaçante du monstre et pensaient être nés pour courber l'échine. Ils n'étaient jusqu'alors que sujets du Roi ; les voilà les premiers surpris de se découvrir sujets de leur propre verbe et de leur propre action, dans un délire de joie qu'ils ne réussissent pas à s'expliquer.

J'ai trouvé remarquable la finesse avec laquelle l'auteur traite cette transfiguration, pour évoquer la naissance informelle, inopinée et encore brouillonne du citoyen agissant. Vuillard ne cache rien de sa subjectivité, ce qui est en définitive une démarche remarquablement honnête. Il assume de même son point de vue omniscient et s'en amuse, n'hésitant pas à adresser des clins d'oeil à son lecteur. le résultat pourrait être froid, désincarné, décharné en somme, et c'est tout le contraire qui se produit : le tableau prend vie, pour exprimer une vérité que n'atteindrait pas la relation la plus méthodologiquement rigoureuse de l'événement. A peine effleurés dans la foule, certains de ces personnages sont même très émouvants, voire tout simplement bouleversants, comme cette Marie Bliard vacillant au bord du vide lorsqu'elle comprend enfin, devant un commissaire de police indifférent, que son homme est bien mort devant la Bastille.

Ce 14 juillet 89 est une promesse : le moment où tout devient possible, où rien n'a encore corrompu le désir de liberté. Evidemment on sait bien ce qui a suivi, et comment beaucoup d'illusions se sont diluées dans le sang et l'amertume. S'il le sait aussi bien que nous, c'est pourtant là qu'Eric Vuillard réussit une conclusion magistrale, qui légitime en à peine une page tous les 14 juillets du monde.
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