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EAN : 9782330078973
160 pages
Actes Sud (03/05/2017)
3.86/5   2874 notes
Résumé :
L'Allemagne nazie a sa légende. On y voit une armée rapide, moderne, dont le triomphe parait inexorable. Mais si au fondement de ses premiers exploits se découvraient plutôt des marchandages, de vulgaires combinaisons d'intérêts ?

Et si les glorieuses images de la Wehrmacht entrant triomphalement en Autriche dissimulaient un immense embouteillage de panzers ? Une simple panne !

Une démonstration magistrale et grinçante des coulisses ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (516) Voir plus Ajouter une critique
3,86

sur 2874 notes
« Messieurs, vous venez d'entendre le chancelier Hitler, nous voulons une victoire aux élections du 5 mars pour stabiliser l'économie de l‘Allemagne, éradiquer les communistes et les opposants et supprimer les syndicats pour rétablir le pouvoir du chef d'entreprise. Je vous prie donc de cracher au bassinet ». C'est à peu près en ces termes que le président du parlement Goering s'adresse aux 24 industriels et banquiers convoqués le 20 février 1933. Les millions de Deutsche Marks de la compromission du grand capital au régime nazi assurèrent la fortune de ces familles qui règnent encore aujourd'hui et qui s'appellent Krupp, Siemens, Opel IG Farben, Telefunken, Bayer, BASF… Fortune construite sur le dos des prisonniers des camps de concentration notamment.

Ce petit chef d'oeuvre historique d'Eric Vuillard rempli d'ironie grinçante, relate une suite de rencontres déterminantes entre 1933 et 1938. le rêve d'Hitler est d'unifier les pays de langue allemande en une Grande Allemagne dont il serait le maître absolu. En 1936, il signe l'Accord germano-autrichien qui reconnaît l'intégrité de l'Autriche et la non-ingérence de l'Allemagne. En 1938, soutenu par les nazis autrichiens, civils et membres du gouvernement, il arrache un nouvel accord au chancelier Schuschnigg, remplacé illico par le sinistre Arthur Seyss-Inquart.

La rencontre entre Schuschnigg, qui invoque des règles de droit, et Hitler, qui fulmine devant tant d'audace, vaut son pesant de cacahuètes. « Hitler est hors de lui… A bout de nerfs, à vingt heures quarante-cinq exactement, il donne l'ordre d'envahir l'Autriche… le fait accompli n'est-il pas le plus solide des droits ? On va envahir l'Autriche sans l'autorisation de personne, et on va le faire par amour » (pp. 82-83).

Le 12 mars 1938, alors que les troupes allemandes et les blindés quelque peu récalcitrants de Guderian entrent dans une Autriche accueillante, un dîner mémorable se déroule au 10 Downing Street au cours duquel von Ribbentrop, ambassadeur d'Allemagne en Angleterre, abuse sans vergogne Chamberlain, premier ministre, Churchill et Cadogan, des Affaires étrangères, en racontant ses exploits tennistiques.

A se demander comment ces hommes à hautes responsabilités, Anglais autant que Français, ont fait pour se laisser impressionner et intimider par la stratégie de manipulation du démiurge, Hitler, qui observe les deux grandes puissances s'empêtrer dans leurs problèmes intérieurs. Il prévoit déjà de les faire plier à sa volonté, ce qui conduira aux Accords de Münich de septembre 1938 qui scellent l'annexion des Sudètes à l'Allemagne et le début de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce qui fait la richesse passionnante de ce livre est le questionnement constant de l'auteur sur l'attitude de ces hommes politiques : ignorance ou légèreté, aveuglement ou crédulité, expectative ou manque d'anticipation, laxisme ou manque de courage ?

Deux autres moments intéressants : celui de la propagande nazie et les lectures au procès de Nuremberg. Eric Vuillard est également cinéaste et il ne lui a pas échappé que tous les documents liés aux discours d'Hitler et à l'hystérie collective qu'il suscitait, sont des films de matraquage orchestrés par Josef Goebbels. On sait qu'il recrutait à tour de bras des militants nazis dans tout le pays. On sait qu'Hitler répétait sans relâche ses gestes théâtraux devant le miroir. On sait combien il trouvait juste et bon d'être acclamé partout où il passait. Mais on sait aussi qu'une partie des Allemands, après avoir cru à l'espoir de rendre au peuple sa fierté, a vécu la terreur exercée par ce régime salvateur. Alors, les images : mises en scène, montage ou réalité ? Nous ne le saurons jamais.

Lors du procès de Nuremberg, quel ne fut pas l'étonnement de certains inculpés d'entendre des communications téléphoniques de 1938 ou des extraits de leurs écrits sensés passer leurs consciencieux états de service à la postérité. Les juges ont appliqué les mêmes techniques d'information à outrance de Goebbels aux accusés, sans emphase ni applaudissements.

Ce récit est une remarquable approche des éléments fondateurs de la Deuxième Guerre mondiale, certainement basé sur une documentation colossale et pourtant ramassé sur 150 pages. Un exploit de clarté et d'intelligence.

Mon ordre du jour : continuer à lire Eric Vuillard.
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"L'Ordre du Jour ", c'est « Écoutez nos capitulations »,- l'anti « Écoutez nos défaites » de Laurent Gaudé, avec son lyrisme assez pompeux, voire pompant.

Un Goncourt mille fois mérité !

Un OVNI aussi : ni récit, ni témoignage, ni roman, encore moins roman historique, même si c'est cette histoire-là qui me passionne et m'intéresse. Un pamphlet, peut-être, vu la vivifiante ironie qui y règne, un essai, sans doute un peu, tant la personnalité de l'auteur imprègne le récit des faits, façonne la trame et vitriole le ton !

On l'a beaucoup dit : Eric Vuillard revisite le mythe de l'Anschluss, de cette invasion « fulgurante » par Hitler de son Autriche natale –et consentante- …avec des blindés caduques et inopérants, qui sont tombés en panne en cours de route !

Mais ce n'est pas avec cette opération militaire qu'il inaugure son livre –opération d'ailleurs revue et corrigée ensuite par les films de propagande de Goebbels- avec acclamations post- enregistrées, comme dans les plus minables sit-com américaines- et qui ont tellement bien réussi leur coup de pute- pardon, de pub- que ce sera cette image nazie trafiquée qui restera seule dans nos petites mémoires occidentales influençables.

Écoutez nos capitulations….

Le récit commence par la séance du 20 février 1933 dans le Reichstag, pas encore incendié, avec les patrons de tout ce que l'Allemagne compte d'industries florissantes - Krupp, Siemens, Bayer, Opel, etc…- face à un Goering, tout nouveau président du Reichstag, à peine poli.

Vingt-quatre chevaliers d'industrie dociles, le petit doigt sur la couture du pantalon, sont invités à collaborer étroitement avec le nouveau chancelier, Adolf himself, qui les gratifie d'une courte visite, avant que Goering ne revienne à la charge, les invitant à cracher au bassinet. Ce qu'ils font, sans ciller.

Mais Eric Vuillard aussitôt actualise le propos : « Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d'entretien, nos radios-réveil, l'assurance de notre maison, la pile de notre montre. Ils sont là partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur »

Écoutez nos capitulations…

Le ton est donné : que ce soit la rencontre d' Hitler avec l'ambassadeur d'Angleterre, lord Halifax (si plein de morgue aristocratique qu'il prend d'abord le Führer pour un laquais !), que ce soit l'entrevue au Berghof du pauvre Schuschnigg, le nouveau chancelier- dictateur pusillanime d'Autriche, venu en tenue de ski, face à un Hitler éructant et vociférant, quelques jours avant la fameuse opération d'annexion de l'Autriche , que ce soit la soirée mondaine et hautement tennistique, au 10, Downing Street, avec les Ribbentrop en guest stars, sur fond d'annonce de l'Anschluss, que ce soient les accords de Munich, enfin, tout n'est qu'une honteuse revue de capitulations en série…

Mus par la morgue, la fatuité, les conventions, les apparences, la courtoisie old fashion , et surtout, surtout, par leur incommensurable lâcheté, les élites, les hommes de pouvoir, les gens de biens (au pluriel), capitulent tous devant la menace, la grossièreté, les rodomontades d'un « ramassis de bandits et de criminels ».

Le bluff et le kitsch triomphent. La violence gagne. Haut la main. C'est un hold up généralisé.

Au point que la vague impressionnante des suicides, au moment de l'Anschluss, fait office d'acte de résistance. Celle des humbles, des sans-grade, celle des Alma Biro, des Karl Schlesinger, des Helene Kuhner, des Leopold Bien. La grande histoire les a tous oubliés, et leur a préféré le parapluie de Chamberlain, le bonnet de ski de Schuschnigg.

C'est un vrai honneur que rend, dans son petit livre incisif et vibrant, le talentueux Eric Vuillard à Alma, à Helene, à Karl, à Leopold…

Il y a une façon de tomber qui honore ceux qui tombent : quand ils décident de le faire pour ne pas voir la chute ignoble et grotesque de ceux qui croient rester debout parce qu'ils restent vivants, alors qu'ils tombent, qu'ils tombent honteusement, ridiculement, interminablement.



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En Allemagne, en ce mois de février 1933, « il faut en finir avec un régime faible, éloigner la menace communiste, supprimer les syndicats et permettre à chaque patron d'être un führer dans son entreprise ». Celui qui est capable de ça aux yeux des grands patrons allemands, c'est le chancelier Hitler. Ils vont donc financer les élections. « Ils » ce sont BASF, BAYER, Afga, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telfunken.

Hitler au pouvoir, les Français et les Anglais pratiquent « la politique d'apaisement » qui consiste à minimiser le nationalisme et l'antisémitisme des nazis, et leurs prétentions sur l'Autriche et une partie de la Tchécoslovaquie, il s’agit de maintenir la paix à tout prix. En réalité Hitler a déjà décidé d'occuper une partie de l'Europe. Ce qui se passe ensuite Vuillard le compare à la peinture de Louis Soutter reclus dans l'asile de Ballaigues : « un long ruisseau de corps noirs, tordus, souffrants, gesticulants ... Une grande danse macabre. » Et elle commence par l'Autriche, la première à mourir et à tomber sous la tutelle allemande, le début des grandes catastrophes.

Tour à tour, drôle, grinçant, ironique, Eric Vuillard pointe la lâcheté, la légèreté, l'aveuglement des hommes politiques français, anglais, autrichiens face à Hitler. En quelques pages il retrace la période cruciale de l'Anschluss - où Hitler n'a personne pour lui barrer la route et où le monde cède au bluff - qui porte déjà en elle les prémisses de tous les drames à venir de la Seconde Guerre mondiale.
Voilà un roman original et pertinent d’un auteur qui mérite bien, une fois n'est pas coutume, le prix Goncourt qui lui a été décerné.
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Focus sur l'Anschluss.
Dans ce court récit historique, Eric Vuillard nous fait pénétrer dans les coulisses de l'annexion autrichienne. De la réunion des industriels allemands complices financeurs d'Hitler à la marche pour le moins chaotique des blindés, on se prend pour une petite souris, témoin apeurée par cette horde de Sapiens tyranniques, bluffeurs et cyniques. La disproportion entre les ressorts et les conséquences historiques fait frémir.
Les scènes se succèdent comme autant de chapitres :
- Duel de dictateurs entre Hitler et Schuschnigg, et c'est celui qui en impose le plus qui écrase l'autre. Le chancelier autrichien obtempère.
- Grain de sable dans la mécanique des panzer qui ridiculise l'invasion du voisin autrichien.
- Lâcheté des politiques européens, manipulés et aveugles, ....
Toutes plus édifiantes les unes que les autres, elles sont enrobées dans une narration qui prend une distance désabusée, teintée d'ironie, justifiée par une documentation riche.
Et puis l'écrit historique ne manque pas de faire son job de résonance, il dessine en filigrane les silhouettes des brutes qui animent encore notre vie politique.

Sans être un spécialiste d'histoire, loin de là, j'ai beaucoup apprécié ce récit.
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Le 20 février 1933 vingt-quatre grands patrons sont conviés au palais du président de l'assemblée, le parti nazi a besoin d'argent pour sa campagne et leur demande de mettre la main à la poche, ce qu'ils vont faire : Opel, Krupp, Siemens etc…

Quelques années plus tard, bien installé au pouvoir, Hitler après avoir mis son pays au pas, veut étendre son emprise sur l'Europe, variant les stratégies, les visites de courtoisie ( avec Halifax) alternant avec les manoeuvres d'intimidations, tendu vers un objectif : augmenter l'espace vital en annexant l'Autriche et la Tchécoslovaquie.

L'entrevue du Berghof entre le chancelier autrichien Schuschnigg, lui-même dictateur patenté, est une véritable scène d'anthologie : ce dernier arrive en tenue de skieur pour passer inaperçu et se rend compte trop tard, qu'il est tombé dans un piège.

« Ainsi, pendant que l'Autriche agonise, son chancelier, déguisé en skieur, s'éclipse de nuit pour un improbable voyage, et les Autrichiens font la fête. » P 35

Durant, l'entrevue, Hitler insulte l'Autriche, vocifère, humilie le chancelier autrichien qui reste médusé et ne tente même pas de discuter ou de justifier quoi que ce soit. le führer veut lui extorquer un traité pour justifier l'annexion, et il assure vouloir négocier tout en affirmant qu'il ne changera pas le moindre détail du texte déjà écrit !

Tous les postes-clés du gouvernement autrichien seront aux mains de nazis patentés, notamment Seys-Inquart en tant que ministre de l'intérieur qui occupera les postes les plus prestigieux et qu'on retrouvera au procès de Nuremberg, où il affirmera n'avoir rien fait !

L'armée allemande va donc foncer vers l'Autriche, telle un rouleau compresseur, accueillie par la foule en liesse (on a pris bien soin d'éliminer tout opposant) mais, la machine bien huilée soudain se met à tousser : une panne générale paralyse toute la progression !

Eric Vuillard décrit avec talent, la machine de propagande mise en place par Goebbels, le comportement vulgaire de von Ribbentrop lors d'un dîner chez Chamberlain, où il va monopoliser la parole, alors que la courtoisie de ses hôtes les empêche de le mettre à la porte. de retour dans sa voiture, il éclate de rire, la manoeuvre a réussi : au même moment l'Autriche est envahie.

Ce livre relate le déroulement de l'Anschluss dans les détails, explorant le comportement de Goering, les écoutes trafiquées, toute la désinformation et la manipulation de la foule qui a accueilli « ses libérateurs » et en même temps rend hommage à ceux qui ont compris ce qui se passait : « il y eut plus de mille sept cents suicides en une seule semaine. Bientôt, annoncer un suicide dans la presse deviendra un acte de résistance. » P 135

Eric Vuillard alterne le récit chronologique et ce qu'il adviendra plus tard des protagonistes : le procès de Nuremberg, le devenir de Schuschnigg, celui des patrons qui sont allés puiser de la main d'oeuvre dans les camps de concentration, pour faire tourner leurs usines, mais qui tombent des nues, ils ne savaient rien ! ces mêmes patrons qui ont financé les nazis, vont rechigner sans vergogne lorsqu'il s'agira d'indemniser les survivants…

Je retiens aussi cette anecdote assez savoureuse : en arrivant à Berschtesgaden, Lord Halifax en descendant de sa voiture, ôte son manteau et le remet à celui qu'il croit être un valet et n'est autre que Hitler himself !

Enfin, Eric Vuillard fait une allusion emplie de symbole à Louis Soutter dans son asile de Ballaigues « en train de dessiner avec les doigts sur une nappe en papier un de ses danses obscures. Des pantins hideux et terribles s'agitent à l'horizon du monde où roule un soleil noir. Ils courent et fuient en tous sens, surgissant de la brume, squelettes, fantômes. » P 49

Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé ce récit historique traitant d'une période de l'Histoire qui m'intéresse ; il est venu combler quelques-unes de mes lacunes dans le déroulé de l'Anschluss. le style de l'auteur me plaît, ainsi que sa manière de raconter, ses phrases qui percutent et retransmettent bien le langage incisif, brutal du Troisième Reich.

Je comprends que les avis puissent diverger car il s'adresse davantage aux amoureux de l'Histoire…
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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critiques presse (6)
Bibliobs
13 mars 2018
Le 12 mars 1938, Hitler annexait l'Autriche. Dans "l'Ordre du jour", l'excellent Eric Vuillard raconte les coulisses de l'Anschluss, et nous enseigne que la politesse peut aussi être un piège.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Telerama
28 juin 2017
La démonstration d'Eric Vuillard est limpide, cinglante, implacable.
Lire la critique sur le site : Telerama
LaPresse
21 juin 2017
Puissant récit qui se lit d'une traite, avec stupeur et effroi.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeMonde
26 mai 2017
Dans « L’Ordre du jour », Eric Vuillard se glisse dans les coulisses de l’Histoire avant l’Anschluss, en 1938. Et y entrevoit de sordides vérités.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Lexpress
22 mai 2017
Un récit bref et saisissant dans la lignée des précédents travaux de l'auteur, aimant décrire les coulisses de l'Histoire.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LaCroix
05 mai 2017
Décrivant des scènes fondatrices ainsi que la mécanique politique et psychologique portée par Hitler, Éric Vuillard montre l’enchaînement qui a mené à la dictature nazie.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (340) Voir plus Ajouter une citation
Et peu importe que ce matin-là Helene ait vu ou non, parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. Peu importe qu'elle ait ou non assisté à ces scènes ignobles où on leur fit brouter de l’herbe. Sa mort traduit seulement ce qu'elle ressentit, le grand malheur, la réalité hideuse, son dégoût pour un monde qu'elle vit se déployer dans sa nudité meurtrière. Car au fond, le crime était déjà là, dans les petits drapeaux, dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti. Et jusque dans les rires, dans cette ferveur déchaînée, Helene Kuhner dut sentir la haine et la jouissance. Elle a dû entrevoir - en un raptus terrifiant -, derrière ces milliers de silhouettes, de visages, des millions de forçats. Et elle a deviné, derrière la liesse effrayante, la carrière de granit de Mauthausen. Alors, elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l’odeur fraiche des myosotis, au cœur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.
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On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi. Et on voudrait tant ne plus tomber qu'on s'arc-boute, on hurle. A coups de talon, on nous brise les doigts, à coups de bec on nous casse les dents, on nous ronge les yeux. L’abîme est bordé de hautes demeures. Et l’Histoire est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l’an, des gerbes séchées de pivoines, et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux.
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Gustav Grupp
Pendant des années , il avait loué des déportés de Buchenwald, à Flossenbürg, à Ravensbrück, à Sachsenhausen, à Auschwitz et à bien d'autres camps.
Leur espérance de vie était de quelques mois. Si le prisonnier échappait aux maladies infectieuses, il mourait littéralement de faim. Mais Krupp ne fut pas le seul à louer de tels services Ses comparses de la réunion du 20 février en profitèrent eux aussi ; derrière les passions criminelles et les gesticulations politiques leurs intérêts trouvaient leur compte. La guerre avait été rentable.
Bayer afferma de la main d'oeuvre à Mauthausen. BMW embauchait à Dachau, à Papenbur à Sachsenhausen, à Natzweiller-Struthof et à Buchenwald. Daimler à Schirmec. IG Farben recrutait à Dora-Mittelbau, à Gross-Rose, à Sachsenhausen, a Buchenwald, à Ravensbrück, à Dachau, à Mauthausen, et exploitait une usine gigantesque dans le camp d'Auschwitz, qui en toute impudence figure sous ce nom dans l'organigramme de la firme. Agfa recrutait à Dacha. Shell à Neuengamme. Schneider à Buchenwald. Telefunken à Gross- Rosen et Siemens à Buchenwald, à Flossenbürg, à Neuengamme, à Ravensbrück, à Sachsenhausen, à Gross-Rosen et à Auschwitz. Tout le monde s'était jeté sur une main-d'oeuvre si bon marché.
...Sur un arrivage de 600 déportés, en 1943, aux usines Krupp, il n'en restait un an plus tard que 20.

En 1958
Des juifs de Brooklyn réclamèrent réclamèrent réparation. Gustav Krupp avait offert sans ciller des sommes astronomiques aux nazis dès la réunion du 20 février 1933, mais à présent son fils, Alfried, se montrait moins prodigue. .. On parvint toutefois à un accord. Krupp s'engagea à verser 1250 dollars à chaque rescapé ; ce qui était bien peu pour solde de tout compte. Mais le geste de Krupp fut salué unanimement par la presse. Cela lui fit même une remarquable publicité. Bientôt, à mesure que les rescapés se déclaraient, la somme allouée à chacun devint plus maigre. On passa à 750 dollars, puis à 500. Enfin, lorsque d'autres déportés se manifestèrent, le Konzern leur fit savoir qu'il n'était malheureusement plus en mesure d'effectuer des paiements volontaires : les Juifs avait coûté trop cher.
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[...] Sûr qu'il en connaissait un bout en sciences politiques, lui qui avait su dire non à toutes les libertés publiques. Aussi, une fois passée la petite minute d'hésitation - tandis qu'une meute de nazis pénètre dans la chancellerie-, Schuschnigg l'intransigeant, l'homme du non, la négation faite dictateur, se tourne vers l'Allemagne, la voix étranglée, le museau rouge, l'oeil humide, et prononce un faible "oui".
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Walter Benjamin raconte que l'on coupa soudain le gaz aux Juifs de Vienne; leur consommation entraînait des pertes pour la compagnie. C'est que les plus gros consommateurs étaient précisément ceux qui ne payent pas leurs factures, ajoute-t-il. À cet instant, la lettre que Benjamin adresse à Margarete prend un tour étrange. On n'est pas sûr de bien comprendre. On hésite. Sa signification flotte entre les branches, sur le ciel pâle, et lorsqu'elle s'éclaire, formant soudain une flaque de sens au milieu de nulle part, elle devient l'une des plus folles et des plus tristes de tous les temps. Car si la compagnie autrichienne refusait à présent de fournir les Juifs, c'est qu'ils se suicidaient de préférence au gaz et laissaient impayées les factures (...) que ce soit une plaisanterie des plus amères ou la réalité, qu'importe; lorsque l'humour incline à tant de noirceur, il dit la vérité.
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Grand écrivain du XXe siècle, Louis Guilloux est passé entre les mailles de l'histoire littéraire. Ingrate postérité à laquelle Olivia Gesbert remédie avec ses invités, l'écrivain Eric Vuillard et le journaliste Grégoire Leménager, tous deux emportés par la plume de l'auteur du très moderne "Le sang noir" (1935).
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