_ Mais de quoi se vante-t-il ? Dites-le-moi.
_ D'appartenir à l'ETA. Vous savez. Il habitait une sous-location dans l'immeuble où j'ai ma petite affaire et il bavardait toujours avec moi ou avec ma femme. Que les Basques ont des couilles, que ceci, que cela. Ils mettent quatre bombes, ils tuent quatre malheureux, et ils se prennent pour Dieu sait qui, Kirk Douglas ou Tarzan.
Le ardían los ojos, pero sentía una súbita limpieza en la cabeza y en el pecho. Mirando hacia la ciudad iluminada dijo:
-Hijos de puta, hijos de puta.
Se bebió una botella de orujo helado y a las cinco de la madrugada le despertaron el hambre y la sed.
C'est un plaisir que l'on doit découvrir à trente ans. C'est l'âge où l'homme cesse d'être un imbécile, et il paye pour ça le prix d'un début de vieillissement.
Chaque mort révèle l'inexistence de l'humanisme.
Il essaya de tirer en échange des informations et des confidences sur la vie de Carvalho. Celui-ci résuma vingt ans en une seule phrase : il était allé aux États-Unis et travaillait comme détective privé.
_ Ton père était tout aussi égoïste que n'importe quel être humain. Il a vécu sa vie et voilà tout.
_ Non, ce n'est pas certain. On ne peut pas vivre en pensant que le monde entier est égoïste, que le monde entier, c'est de la merde.
_ Moi, j'arrive à vivre, et je le pense. J'en suis convaincu.
_ Je suis une merde ?
_ Tu en seras une, c'est sûr.
_ Les gens que tu as aimés, c'était de la merde ?
_ Ca, c'est le piège. On a besoin d'être bienveillant avec ceux qui le sont envers nous. C'est un contrat non écrit, mais c'est un contrat. Ce qui se passe, c'est que nous vivons comme sans savoir que tout et tous sont de la merde. Et plus on est intelligent moins on l'oublie, plus on l'a présent à l'esprit. Je n'ai jamais connu quelqu'un de vraiment intelligent qui aime les autres ou leur fasse confiance. Au plus il les plaignait. Ce sentiment-là, oui, je le comprends.
_ Mais les autres n'ont pas de raison d'être méchants, ou d'être victimes. C'est ça la distinction que tu fais entre les gens ?
_ Il y a aussi les imbéciles et les sadiques.
Quelle vie merveilleuse a notre ami
Comment aimerions-nous si on ne nous avait pas appris à aimer dans les livres ? Comment souffririons-nous ? Sans doute moins.
- Le Sud, c'est la face cachée de la lune.
Stuart Pedrell avait habité une maison du Putxet, une des collines qui dominaient autrefois Barcelone comme les collines romaines dominent Rome. À présent elles étaient toutes couvertes d’un tissu continu de résidences pour la moyenne bourgeoisie avec, de-ci, de-là, un dernier étage duplex pour la haute bourgeoisie parfois liée aux anciens résidents des manoirs de l’endroit. Le duplex pour le « petit » ou la « petite » avait été le joli cadeau généralisé, à la portée des propriétaires des manoirs rescapés ; aussi joli et généralisé que ce qui se pratique du côté de Pedralbes et de Sarria, derniers contreforts où la très haute bourgeoisie s’est maintenue dans ses vieux manoirs dignes et a essayé de garder ses couvées dans des logements voisins.
La maison de Stuart Pedrell venait de l’héritage d’une grand-tante sans enfants, qui lui avait laissé cette bâtisse fin de siècle, réalisation d’un architecte inspiré par le style métallique anglais. Les grilles étaient déjà une déclaration de principes, et une crête de fers forgés, surchargés comme la crinière d’un dragon vitrifié, parcourait la colonne vertébrale d’un toit de céramique. Des fenêtres néo-gothiques, des façades dissimulées sous le lierre, des meubles de bois laqué blanc garnis de tissu bleu, le tout dans un jardin rigoureux, où une haute et élégante haie de cyprès encadrait la liberté surveillée d’un petit bois de pins et la géométrie exacte d’un mini-labyrinthe de rhododendrons. Par terre, du gravier et du gazon. Un gravier habitué à crisser à peine sous les roues ou sous les pas. Un gazon presque centenaire, bien nourri, brossé, coupé, un vieux manteau douillet sur lequel la maison semblait flotter comme sur un tapis volant. Un service de table en soie et en piqué noir et blanc. Un jardinier rigoureusement déguisé en paysan, un majordome avec des favoris homologables et un gilet à rayures comme de la belle toile à matelas. Carvalho regretta l’absence des guêtres chez le chauffeur qui montait dans l’Alfa Romeo pour aller chercher Mme Stuart Pedrell ; mais il fut sensible à la coupe stylée de son costume gris garni de revers de velours, et à tout ce qu’on pouvait lire derrière le cuir fin gris perle de ses gants, qui faisait contraste avec le volant noir.
Carvalho demanda qu’on lui ouvre toute la maison, et le majordome la lui offrit avec une inclinaison de tête qui aurait pu aussi bien être une invitation à danser. Et comme dans un bal fin de siècle, au rythme d’une valse lente, fredonnant mentalement la Valse de l’Empereur, Carvalho parcourut les deux niveaux de la maison, que reliait un escalier de marbre grenat avec une balustrade en fer forgé et une main courante en bois de santal. L’escalier baignait dans les lumières polychromes d’un vitrail qui représentait saint Georges terrassant le dragon.
– Monsieur cherche-t-il quelque chose en particulier ?
– Les appartements de M. Stuart Pedrell.
– Voulez-vous avoir l’obligeance de me suivre ?