Je me tenais sur les rochers aux toutes premières lueurs du jour, avant que quiconque ne se soit réveillé et je sentais la nature entrer en moi comme la lumière. Je fermais les yeux et la sentais. La nature était une présence. Elle avait des yeux et j’étais surveillé. Mais jamais je n’eus l’impression d’y être un intrus.
La rage était encore là. Elle était postée en pleine poitrine chaque fois que j’entendais « Chef », « Tonto », « Geronimo », « abruti d’Injun » ou la centaine d’autres étiquettes qu’on m’accrochait. Mais je ne réagissais jamais. Je ne voulais pas courir le risque de l’explosion qui s’ensuivrait. La sensation de la gorge de Jorgerson entre mes mains. La noirceur en moi. Au lieu de cela, je me livrais tout entier au joug de la discipline du travail, me perdant dans les fastidieuses tâches manuelles, celles que je préférais.
[..Grognements d'adultes]. Qui naissaient d’ardeurs qu’aucun de nous ne put jamais comprendre. Parfois, trois ou quatre garçons recevaient ce type de visite. Parfois un seul. D’autres fois, des garçons étaient entraînés à l’extérieur des dortoirs. Où ils allaient et ce qui leur arrivait, nul n’en parlait jamais. Au grand jour, nous échangions des regards vides, de façon à ne pas causer davantage de honte. C’était la même chose pour les filles « L’amour de Dieu », murmura un jour Angeline Lynx Leg. « [… ] Ce que la sœur apporte la nuit. Ce que le Père apporte. Pour me bénir. Pour me nourrir. »
Elle avait neuf ans et tout ce que je ressentais était du vide.
Les corrections faisaient mal. Les menaces nous rabaissaient. Les incessantes besognes nous épuisaient, nous faisaient vieillir avant l’heure. […] et les disparitions nous emplissaient d’effroi. Mais peut-être que ce qui nous terrifiait le plus, c’étaient les assauts nocturnes.
Ils commençaient par le bruissement des pantoufles sur les lattes du plancher ou celui des ourlets des soutanes et des robes, tandis que les prédateurs, impatients, sillonnaient les dortoirs. Nous enfouissions nos visages dans les oreillers ou cachions nos têtes sous nos couvertures pour échapper aux déferlantes de malheur qui surgissaient chaque nuit. Pour commencer, il y avait le craquement des ressorts quand les adultes s’asseyaient. Des chuchotis, un ton cajoleur, puis les bruits de froissement qui se tatouaient dans nos cerveaux, les cris de détresse, le frottement des peaux qui glissaient l’une contre l’autre, et les sourds grognements adultes
Ce sport si bien ordonné et à la vitesse explosive, que j'apprenais à pratiquer, m'enthousiasmait. Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l'une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un indien
Il n'y avait aucune tolérance envers les langues indiennes.
Tout ce que je savais, c'est que j'allais m'enfuir et continuer de m'enfuir parce que j'avais appris qu'il est beaucoup plus facile de partir quand on n'est pas encore tout à fait arrivé.
(...) j'ai compris qu'il est parfois plus facile d'être quelqu'un qu'on n'est pas que de vivre avec celui qu'on est.
Quand on t'arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d'où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C'est l'enfer sur terre, cette impression d'être indigne. C'était ce qu'ils nous infligeaient.
La maison n'avait pas changé depuis que je l'avais quittée. En ordre et propre, baignée de la lumière qui se déversait par les fenêtres et chargée de l'odeur du pain. Je me demandais comment les gens pouvaient vivre au milieu de choses stables, bien en place, leur emplacement déterminé par le pouvoir de remémoration dont elles étaient porteuses, par les souvenirs qu'elles renfermaient. C'était ce qui constituait un foyer, pensais-je : les choses que l'on garde, la somme de nous-même.