Ensuite, dans les années soixante, nous nous enfonçames dans le cœur sombre du nord de l'Ontario et nous fûmes haïs. Haïs. Il n'y a pas d'autre mot. Les Moose, une équipe sortie de la forêt, voulait prouver son talent dans les meilleures compétitions qui soient. Nous arrivâmes dans ces villes en hockeyeurs espérant disputer un match honnête, crosse à crosse, de bout en bout, juste et équitable. Mais ils ne nous virent jamais autrement que comme des Indiens. Ils ne virent jamais rien d'autre que des visages à la peau mate alors qu'ils auraient dû être blancs. Nous n'étions pas bienvenus parmi eux. Et quand nous gagnions, les choses devenaient encore pires.
Les métis et les Indiens coupaient tout à la main avec des scies à bûches et des haches. C'était un travail violent pour un petit salaire, et ce qui était versé était rapidement bu.
Tout ce que je savais de façon certaine, que je n'apprendrais à vivre le présent qu'en revenant sur mes pas, en revisitant les lieux marquants de ma vie antérieure.
La maison n'avait pas changé depuis que je l'avais quittée. en ordre et propre, baignée de la lumière qui se déversait par les fenêtres et chargée de l'odeur du pain. Je me demandais comment les gens pouvaient vivre au milieu de choses stables, bien en place, leur emplacement déterminé par le pouvoir de remémoration dont elles étaient porteuses, par les souvenirs qu'elles renfermaient. C'était ce qui constituait un foyer, pensai-je : les choses que l'on garde, la somme de nous-mêmes.
- Faciliter ne veut pas dire améliorer. C'est juste plus facile.
Ils m'emmenèrent dans un pensionnat, le St. Jerome's Indian Residential School. Une fois, j'avais lu qu'il y avait dans l'univers des trous qui avalaient toute la lumière, tous les corps. St. Jerome's vola toute la lumière de mon monde. Tout ce que je connaissais s'évanouit derrière moi avec un bruissement audible, comme celui de l'orignal quand il disparaît au milieu des épicéas.
Alors je me suis réfugié en moi-même. C'est ainsi que j'ai survécu. Seul.
C'est là que je compris que, quand une chose nous manque, elle laisse un trou que seule cette chose qui nous manque peut combler.
Je lui racontais la route, les boulots, les villes, puis je lui parlais de l'alcool.
Le dernier recours, dis-je. Ça te permet de continuer à respirer, mais pas vraiment à vivre. Ça te laisse bouger, mais pas te souvenir. Ça te laisse faire, mais pas éprouver de sensations.
Parfois les fantômes rôdent. Ils traînent dans les coins les plus reculés, et quand vous vous y attendez le moins, ils surgissent, chargés de tout ce qu'ils vous avaient apporté quand ils étaient vivants.