Avez-vous remarqué que certaines périodes de notre vie finissent par ressembler, avec les années à de simples taches de couleur, s’imbriquant les unes dans les autres pour former un tout immuable, jusqu’à ce qu’un événement précis arrive et lui donne un nouvel aspect ?
Bien qu'il ne m'ait rien dit, j'avais compris clairement, que pour lui, jouer ou écouter du jazz avait quelque chose de déshonorant, un peu comme la masturbation, et peut-être qu'il avait raison. A seize ans, tout ce qu'on fait ressemble à la masturbation, d'une façon ou d'une autre. Mais je n'allais pas tout laisser tomber, simplement parce qu'il désapprouvait ce genre de musique.
Avoir toujours la trompette en tête, le trombone dans les basses, la clarinette dans les aigus et le saxo-ténor bourdonnant entre les deux, essayant de se frayer un passage, comme une abeille dans du chèvre-feuille – c’était devenu ennuyeux. Ellington avait été l’un des premiers à rompre avec cette tradition ; et Goodman, avec ses différents sextets, avait ouvert la voix aux petites formations ; mais notre ambition était d’aller beaucoup plus loin.