Citations sur Né sous les coups (31)
Il se maudit intérieurement, avec colère et apitoiement, tandis que de douloureuses larmes coulaient sur ses joues. Ce n’était pas la première fois, au cours de ses treize années, qu’il aurait voulu non pas être quelqu’un d’autre, ni même être ailleurs, mais plutôt n’être jamais né.
La peur monta de plusieurs crans, la panique aussi. La tête lui tournait. Il avait la nausée, et pas seulement à cause de l’herbe et de l’alcool. Il ressentit soudain une urgente et irrépressible envie de pleurer. Il échoua à la réprimer, tomba à genoux, sanglotant sur le sol de la cuisine.
Sur le sol, Karl était allongé, recroquevillé et tuméfié, du sang coulant de sa bouche. Ses bras s’agitaient lentement et inutilement, ses doigts sans force essayaient d’agripper quelque chose
La fille était pelotonnée dans le coin le plus éloigné de la pièce, elle tenait un gros morceau de verre pointu comme si c’était une lame, avec du sang qui dégoulinait de ses doigts et de sa paume. De l’autre main, elle cachait avec les rideaux son corps nu, avec une volonté désespérée de se protéger.
La musique envahissait l’appartement, hurlait et cognait, martelait les murs comme un hooligan enragé. La sonnette de la porte d’entrée retentit brutalement, comme un coup de marteau, réclamant une attention immédiate.
« Putains de voisins de merde ! »
Karl boutonna son jean et se dirigea à contrecœur vers la porte.
Il l’ouvrit violemment, la bouche prête à cracher des obscénités à la face du râleur. Avant qu’il puisse parler, une main jaillit et le saisit à la gorge, agrippant son cou comme le bras mécanique d’un engin industriel. La surprise de Karl se transforma aussitôt en peur, puis vira au désespoir. Il savait qui c’était. Il savait qu’il n’avait aucune chance de s’en tirer indemne.
Il y a peu de choses plus déprimantes qu’une station balnéaire hors saison, songea Larkin, et Whitley Bay ne faisait pas exception. Le front de mer semblait à des années-lumière du petit quartier douillet de Louise. Sur le ciel printanier – qui prenait à l’approche du crépuscule une couleur boueuse, vide de promesses, riche de menaces – se découpait une rangée sordide de salles de jeux vidéo aux façades en phase terminale de décrépitude, vides à l’intérieur ; des labos de guerre bactériologique déguisés en fast-foods ; des stands de fruits de mer condamnés, qui devaient être phosphorescents dans le noir et des pubs dangereux. La Ville espagnole, avec ses murs en stuc jaune, ses dômes et ses minarets qui tombaient en ruine et ses montagnes russes qui donnaient l’impression de ne pas pouvoir encaisser le moindre tour supplémentaire, n’avait pas seulement l’air d’avoir connu des jours meilleurs : elle semblait plutôt leur avoir dit au revoir, en sachant très bien qu’ils ne reviendraient jamais.
Derrière le terrain de golf et les plages désertes du front de mer décati de Whitley Bay se trouvait un dédale de maisons carrées, partagées pour abriter deux familles, typiques de la classe moyenne. C’est dans ce labyrinthe que Larkin engagea sa voiture.
L’homme entrait dans le palais de justice de Newcastle dans un costume coûteux mais sobre et stylé, imbu de sa propre importance, indifférent aux passants et aux sollicitations, laissant les cameramen et les badauds dans son sillage. Son visage était tiré et hagard, mais avait aussi quelque chose d’arrogant, avec un air de défi, comme une star du rock sur le déclin qui refuserait de céder du terrain face aux changements de mode ou à sa jeunesse évanouie.
Le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher avait été réélu pour un second mandat par un raz-de-marée apathique. Les gens avaient voté pour elle parce qu’il n’y avait aucune alternative crédible. Avant les élections, il y avait eu des mouvements de mécontentement contre la façon dont la droite gouvernait. Une diversion se présenta, sous la forme d’un petit conflit dans le sud de l’océan Atlantique, au sujet des îles Malouines, une équipée ultrapatriotique qui permit d’assurer la réélection. Encouragée par ces événements, Thatcher s’était ensuite cherché une cible intérieure : elle avait trouvé les mineurs.
Les temps modernes, tels que nous les connaissons, ont débuté le lundi 28 mai 1984. Cette date n’a pas été choisie au hasard pour sa connotation orwellienne, et elle n’a pas été reconnue officiellement pour telle. Pourtant, c’est ce jour-là que notre pays a changé pour toujours, que la bombe à retardement a été enclenchée et le compte à rebours lancé. Et où ce singulier événement a-t-il eu lieu ? À Orgreave, près de Rotherham, dans le South Yorkshire.