AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de nilebeh



Que dire de ce livre sinon qu'il fut pour moi l'occasion d'une émotion intense, faite d'émerveillement, de trouble, d'inquiétude, de compassion, de rares moments d'une joie douce et d'une vibration qui vous amène au bord des larmes ?
Le tout, sans aucun effet stylistique, avec naturel, juste par la grâce des mots,, des phrases à la fluidité toute musicale, un regard attentif et bienveillant posé sur les êtres qui habitent ces pages - pas des personnages de littérature - des êtres riches et doux, sombres et lumineux.
La narratrice n'a pas de nom, elle parle de ses rencontres. D'abord, celle qu'elle a eue avec cet homme silencieux qui l'observe dans un café et capte son regard, celui qu'elle appelle « le maître », et qui va la faire venir chez lui, dans son salon, sur un simple coup de fil. Puis, la rencontre avec cette femme « des confins de l'Ukraine », qui l'observe depuis le trottoir qui longe la vitrine de l'agence immobilière où elle travaille. Anonyme, elle aussi, chargée de sacs en plastique dans lesquels elle semble traîner sa vie. Elles se parlent, prennent un café, le contact est fugitif, incertain, fait de quelques mots et de silences. Un fil ténu de compréhension fragile les unit. L'une nettoie des appartements vides de leurs habitants, l'autre cherche à vendre ou louer des appartements trop chers pour la plupart des gens. Vides, aussi.
Et enfin, il y a ce « vous », auquel elle s'adresse, qu'elle découvre en tant qu'ami du maître. Ce « vous » qui lui demande de restituer par écrit ce qu'elle a pu observer, sentir, comprendre, chez cet énigmatique compositeur, musicien rejeté par la bonne société des musiciens académiques mais aussi par ceux qui s'affichent « contre », contre le système, l'argent, les conventions, « contre », en général.
Le musicien reste énigmatique, vrai génie méconnu, artiste paranoïaque, créateur en quête d'inspiration, manipulateur qui joue de son emprise sur la jeune femme, du haut de son appartement perché au-dessus de Paris, lui servant du thé et des discours sur la création, ses sources, ses freins, ses moments de folie créatrice et de désespoir ? Il aligne les mots et les idées comme des notes sur une partition. Il compose...

La conversation se fait à pas feutrés, dans le confort minimal de son salon parisien, et il prend de plus en plus d'influence sur la narratrice, auditrice, disciple, faire-valoir peut-être, amoureuse en secret peut-être, d'un homme qu'on ne peut ni aimer ni haïr, ni admirer, ni mépriser. Juste en avoir un peu peur, peut-être...

Curieuse valse à quatre temps, quatre personnages, que ce roman qui n'en est pas absolument un, qui offre une plongée en profondeur dans la création de l'oeuvre musicale, sur fond de bande-son où se croisent Chostakovitch, Berio, Beethoven ; les remarques sur les instruments - le hautbois et la clarinette, instruments de l'automne, et surtout le but ultime, la sommation intérieure qui taraude le maître : écrire un requiem, oeuvre ultime et magistrale de sa vie.

Ce livre ne comprend que 174 pages. Pourquoi ai-je recopié un nombre si important de phrases ? Pourquoi ai-je l'impression que ce sont mes propres émotions, mes propres questions sur l'art, sur la vie et le rapport aux autres, sur l'absence, qui se retrouvent sous la plume cursive et pleine d'élégance de Cécile Wajsbrot ?

Une expérience de lecture unique, mais peut-être juste parce qu'elle arrive au bon moment, dans la bonne configuration de ma vie personnelle...
Commenter  J’apprécie          122



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}