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Critique de JustAWord


L'année dernière, l'Américaine Catriona Ward faisait une entrée fracassante en librairie avec son thriller La dernière maison avant les bois chez Sonatine. Son dernier roman en date, Looking Glass Sound, débarque cette année sous le titre (étrange) de Mirror Bay.
Traduit par Pierre Szczeciner, cette nouvelle histoire confirme le talent extraordinaire de l'autrice et nous plonge dans l'existence troublée d'un groupe d'adolescents confrontés à l'horreur…

Comme pour son précédent roman, Catriona Ward nous mène en bateau…
Nous voici d'abord dans les mémoires d'un certain Wilder Harlow en juin 1989 alors que ses parents décident de l'emmener en vacances à Whistler Bay dans le cottage du défunt Oncle Vernon. Dans ce coin reculé où les rochers font siffler l'air qui vient de la mer, Wilder pense qu'il pourra oublier les disputes qui déchirent ses parents et peut-être même trouver l'amour. Que cherche-t-on d'ailleurs d'autre quand on est un adolescent de dix-sept ans ?
Il rencontre alors deux autres jeunes gens de son âge : Nathaniel et Harper.
En s'apprivoisant les uns les autres, le trio explore la côte et se raconte les légendes urbaines du coin. Notamment celle d'un mystérieux Rôdeur qui prendrait des enfants en photos durant leur sommeil… sans même parler des multiples disparitions de femmes dans la région.
C'est lors d'une énième bravade d'adolescents que la vérité éclate et que l'horreur surgit.
Cet évènement traumatique vient brutalement mettre un terme à la camaraderie entre Wilder, Harper et Nathaniel.
Bien décidé à devenir écrivain, Wilder entreprend la rédaction d'un roman dès son entrée à l'université mais la chose s'avère bien plus ardue que prévue. Sa rencontre avec Sky, lui aussi aspirant écrivain fasciné par les évènements de Whistler Bay, va permettre à Wilder d'avancer et de se confronter à son terrible passé.
Mais tout a un prix…
Arrêtons dès maintenant de déflorer l'intrigue de ce Mirror Bay qui, comme pour le précédent ouvrage de Catriona Ward, repose justement sur un suspense tenace et des révélations en cascade.
Mirror Bay, contrairement à La dernière maison avant les bois, n'est pas aussi nébuleux au départ. Il paraît même tout à fait limpide et facile à digérer. Une histoire de gamins prêts à entrer à l'âge adulte, un sinistre serial killer, un deuil impossible. Rien que du très classique.
Seulement voilà, l'Américaine n'a certainement pas prévu de vous servir un bouquin pour adolescents. Bien vite, la grotte en bord de mer se transforme en terrier et le lapin blanc surgit au moment où on l'attend le moins…

Mirror Bay n'est pas une histoire linéaire mais une imbrication narrative qui ressemble à une toile d'araignée. On marche sur un fil pour en rejoindre un autre et l'on sent au fur et à mesure des pages que quelque chose approche, que tout ça n'est pas clair.
On pense un temps au chef d'oeuvre de Dan Chaon, Une Douce Lueur de malveillance, pour la capacité du roman à jouer sur le souvenir, à embrouiller les histoires et à faire douter de l'honnêteté du narrateur.
Exposant les sentiments adolescents et les doutes de ses jeunes personnages, Catriona Ward parsème son récit d'indices, comme autant d'échos dans une caverne où l'on sait que les ombres ne se balancent pas pour rien. le deuil vient ensuite faucher tout ce petit monde et transforme Mirror Bay en un récit sur la perte et les espoirs brisés.
On sent que quelque chose cloche pourtant. Qu'il y a davantage ici qu'une simple histoire de serial killer ou de passage à l'âge adulte.
Plus le récit avance et plus l'on comprend que nous avons peut-être été trompés dès les premières pages, que ce livre n'est pas tant un récit policier ordinaire qu'un piège qui se referme lentement.
Pour contrer l'horreur de l'ordinaire, le fantastique tente quelques incursions, mais rien n'est sûr à ce stade.
Le lecteur avance à tâtons, revenant finalement à l'ambiance lugubre de Whistler Bay et ses falaises où des secrets se terrent encore.
Finalement, Catriona Ward abat ses cartes.
C'est l'histoire qui l'intéresse ou, plus précisément, ce que les histoires font de nous.

Si l'on peut croire un temps que Mirror Bay est un thriller classique, il faut se rendre l'évidence : ce qui intéresse Catriona Ward, c'est l'écriture et la fonction des histoires, des livres. Comme des sortilèges, comme des pièges, comme des mondes dont on ne ressort pas indemnes.
Le roman se révèle comme un miroir brisé dont les multiples morceaux viendraient jeter un éclairage différent sur une histoire que l'on pensait pourtant connaître. Les personnages changent selon le récit qu'ils intègrent, les points de vues vont et viennent et tout tremble dès que l'on comprend que l'écrivain joue le rôle du monstre.
C'est par l'écriture que le deuil peut se faire, c'est par les histoires que l'on raconte et que l'on se raconte, que l'on rend l'autre immortel et Catriona Ward tente de nous montrer à sa façon que cette notion abstraite peut devenir tout à fait concrète.
En exposant un drame qu'elle résout à mi-parcours, elle enclenche le mécanisme de la mémoire et montre l'influence de l'écriture sur le processus du deuil, sur la dépossession des souvenirs et les travers de la fiction. Car si le fait de produire une histoire influence le monde, l'histoire produite nous influence en retour jusqu'à brouiller les pistes.
La fiction peut-elle permettre un autre avenir ? Peut-elle imaginer des mondes meilleurs ou nous piège-t-elle dans ses filets pour nous entraîner vers le fond ?
Toujours accessible et tortueuse à la fois, les histoires de Catriona Ward joue avec les faux-semblants, percent le quatrième mur et saisissent le lecteur à la gorge, par leur tristesse et leur beauté mais aussi par leur audace à toute épreuve.

Immense roman métafictionnel qui traque les racines du mal et explore la mémoire comme l'écriture, Mirror Bay est une histoire d'une immense tristesse et mélancolie qui prouve que les mots sont aussi des pièges et que certains deuils ne sont jamais terminés.
Lien : https://justaword.fr/mirror-..
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