« Il y a un monstre qui se cache en chacun de nous… Si vous laissez sortir le vôtre, peut-être qu'il ne vous mangera pas. »
J'aime les maisons chargées d'une histoire, d'une âme, les maisons qui abritent entre leurs murs des secrets, des mystères auquel on n'aura sans doute jamais de réponses.
Alors, lorsque Babelio m'a proposé l'envoi de «
La dernière maison avant les bois », je n'ai pu résister à l'envie de savoir ce que cachait cette maison, la proximité des bois rajoutant une petite note d'angoisse qui n'était pas pour me déplaire.
Il faut dire aussi que le petit mot qui accompagnait cette proposition de lecture était très incitatif. Mettez-vous à ma place : si on vous annonçait que le thriller que vous allez lire est certes ardu, mais qu'il est une véritable expérience littéraire, comment pourriez-vous passer à côté de ce plaisir ?
Je remercie l'équipe de Babelio, les éditions Sonatine et
Catriona Ward pour ce joli moment de lecture qui sort un peu de mes lectures habituelles.
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Imaginez une maison isolée à l'orée d'un bois dont le jardin est envahi par les herbes et les fenêtres ont été totalement obstruées par des planches.
Ted y vit seul avec sa fille Lauren, une adolescente rebelle dont il n'a pas totalement la garde. Les voisins ne l'ont jamais vu, car elle reste cloîtrée dans la maison. Mais ils entendent le son de sa voix à laquelle se mêlent les miaulements d'un chat.
Cet homme étrange, solitaire et asocial a déjà eu des soucis avec la justice, suspecté pendant un certain temps, d'avoir kidnappé de jeunes enfants. Mais sa maison, fouillée, n'a pas permis de prouver sa culpabilité. Vous savez cependant comment les gens peuvent se montrer médisants, méfiants, et soupçonneux dans de pareils cas. Harcelé pendant un certain temps, il vit depuis lors reclus avec son enfant et son chat, évitant les voisins, sortant peu de chez lui, s'abrutissant de médicaments, buvant beaucoup trop.
Le récit commence au moment où son quotidien est bousculé par le massacre d'oiseaux qui venaient se nourrir chaque matin dans son jardin, puis, par l'emménagement d'une jeune femme dans la maison abandonnée, voisine de la sienne.
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Au cours de l'histoire, le lecteur suit les pas de Ted, de sa fille Lauren, de sa chatte Olivia, et de sa nouvelle voisine Dee. Chaque chapitre laisse un des narrateurs s'exprimer, laissant l'intrigue s'entrelacer autour de ces voix qui se répondent, se télescopent, se percutent, s'affrontent, se rejettent.
Le livre est très surprenant, plein de rebondissements, on remonte dans le passé de chaque acteur, et lentement, se dessine une réalité dont le lecteur ne pouvait envisager toutes les facettes. C'est excessivement bien amené, l'autrice n'hésitant pas à prendre son temps pour mettre en place les décors, les personnages dont la psychologie est véritablement explorée.
Progressivement, les sentiments de tension et de malaise s'intensifient, rendant l'atmosphère nerveuse, pesante. Ce roman est vraiment d'une construction surprenante, astucieuse, intelligente.
On pense comprendre l'intrigue dans sa globalité, tenir le bon bout, mais des zones d'ombre subsistent et viennent embrouiller notre esprit. La narration spiralaire nous conduit alors, par ricochet, à entrapercevoir d'autres solutions à la disparition de ces enfants, au mystère qui entoure les occupants de cette maison.
« Il faut que tu les déplaces … Ne laisse personne découvrir ce que tu es. »
Si au final, j'avais entrevu une partie de la solution, les dernières pages créent à nouveau la surprise et modifie toute notre perception de l'histoire.
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Sur cette trame narrative,
Catriona Ward dissèque, avec justesse et perspicacité, l'ambiguïté et la complexité de la nature humaine. J'ai adoré entrer dans l'intimité de chaque personnage, explorer leurs pensées, leurs pulsions, leurs désirs, leurs peurs, leurs espoirs, leur stratégie pour survivre à l'horreur.
Le personnage de Ted est particulièrement bien développé, sa profondeur se dévoilant lentement jusqu'à la toute fin. Et si les profondeurs du bois est inquiétante, il n'apparaît pas l'élément le plus hostile du roman, il est seulement spectateur de la violence que les hommes portent en eux jusqu'à la folie.
« Dans la forêt, même les choses familières semblaient étranges. En entendant le crépitement constant de la nuit, j'avais l'impression d'être enfermé dans un cachot à écouter l'eau goutter du plafond. Les branches qui grinçaient devenaient les membres couverts d'écailles de monstres en train de s'étirer. Les brindilles qui s'accrochaient à mes vêtements étaient les doigts squelettiques d'une créature qui cherchait à m'attraper – une créature qui avait peut-être été un enfant, jadis, avant de s'aventurer dans la lumière verte pour ne jamais revenir. »
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La plume de l'autrice est si efficace que le lecteur est harponné, ne peut se défaire de cette envie de retourner lire la suite.
Après m'être éloignée des thrillers, je suis ravie de cette histoire singulière et inattendue qui associe le thriller gothique, le roman psychologique et le policier. Il m'a fallu quelques chapitres pour entrer dans le rythme du livre, mais une fois confortablement installée dans l'intrigue, j'ai pris beaucoup de plaisir à le reprendre chaque soir, à me laisser enfermer dans ce huis-clos sombre et me laisser manipuler par l'autrice du début à la fin.
La postface de l'autrice apporte des éclaircissements sur la phase d'écriture de cet ouvrage. Il est très intéressant de le lire après le roman car il révèle beaucoup sur le contenu de l'intrigue et les choix de l'autrice.
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Pour un premier roman, je trouve que
Catriona Ward a fait preuve de beaucoup de talent pour mêler vérités, mensonges et faux-semblants, réalité, confusion et délire. Elle a réussi à me captiver, me dérouter, me surprendre pour au final me toucher. Et si je n'ai pas trouvé son roman ardu, je l'ai trouvé au contraire intelligent, énigmatique, fascinant.
Si vous êtes curieux, si vous voulez savoir ce qui se cache à l'intérieur de la dernière maison de la rue Needless, n'hésitez pas à vous procurer ce livre, vous serez surpris par son dénouement.