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Critique de JIEMDE


« D'abord on fait tomber les murs, puis on construit les ponts ».

Je connaissais Robert Penn Warren en virtuose du roman – Tous les hommes du roi, le cavalier de la nuit… -, je ne savais pas qu'il avait aussi trempé dans le récit sociétal. C'est chose faite avec la lecture de Au nom des noirs, traduit par Valérie le Plouhinec.

La lutte pour les droits civiques aux États-Unis aura connu plusieurs tournants décisifs, et l'année 1964 en est un avec l'accès des Noirs aux inscriptions sur les listes électorales, véritable tremblement de terre symboliquement égalitaire dans les états du Deep South comme le Mississippi.

Passionné par « le problème noir » comme tous les grands écrivains du Sud et conscient du point de bascule en cours, Penn Warren entreprend un vaste tour d'horizon à 360° des points de vue de l'époque, questionnant leaders engagés, universitaires, politiques, religieux ou simples protagonistes sur la question de la déségrégation.

Mélangeant les interviews, les écrits de l'époque, ses notes et propres réflexions sur la question, il aborde les volets législatifs (plus faciles à voter qu'à mettre en oeuvre), historiques, idéologiques ou stratégiques de la cause.

Mais il met surtout en lumière la grande hétérogénéité du mouvement Noir de l'époque, divisé sur le fond comme sur les formes de la lutte, à l'image d'un Martin Luther King et d'un Malcom X que tout ou presque semble opposer, notamment sur la légitimité de la violence.

« Un Noir qui est victime du système peut-il échapper à la marque d'infamie collective placée sur tous les Noirs de ce pays ? La réponse est non. Eh bien, il en va de même pour la race blanche en Amérique. Individuellement, il est impossible d'échapper au crime collectif ».

Il remonte aux sources, celles de Sambo, la représentation rassurante du « fidèle serviteur noir, courbé, reconnaissant, humble, irresponsable, efféminé, joueur de banjo, servile, souriant, bayant aux corneilles, docile, dépendant, lent, rieur, ami des enfants, puéril, voleur de pastèques, chanteur de gospel, fornicateur impénitent, insouciant, hédoniste (…) le stéréotype rassurant du Nègre pour l'homme blanc du Sud ».

Il évoque le fantasme des liens avec l'Afrique, « aussi loin qu'un rêve » et la nécéssité d'intégrer que ce n'est pas le bon référentiel puisque « l'Américain noir est avant tout Américain ». Une assertion loin d'être partagée par les « Chevaliers blancs du Ku Klux Klan du Royaume souverain du Mississippi ».

Il décrypte la difficulté d'intégrer les Blancs à la lutte des Noirs et d'y trouver leur juste place, qu'ils soient « Dixiecrates », libéraux ou Blancs engagés, victimes de « l'idée jalousement gardée que les Noirs doivent conserver le contrôle, doivent être indépendants, peuvent “accepter“ mais pas “demander“. Ne rien demander du tout ».

Il rappelle l'impact accélérateur de la guerre sur « la déségrégation des forces armées, peut-être un des événements les plus importants qui soient survenus dans ce pays. On dormait avec les gars, on passait le temps avec eux, on mangeait ensemble, et il y en avait qui reconnaissaient franchement et librement qu'ils s'étaient fait des idées fausses ».

Et il est aussi question de rééquilibrage scolaire dans les écoles ségréguées, d'indemnisation des esclavages d'antan, de redistribution des terres ou d'un antisémitisme supposé d'une partie des Noirs américains. Et on y croise aussi Camus ou Montesquieu

Vous l'aurez compris, ce pavé de 600 pages est extrêmement dense et riche, alternant les passages instructifs et passionnants avec d'autres moins digestes pour qui n'est pas un spécialiste du sujet. Un livre pour lequel il faut prendre son temps et savoir passer quelques pages quand la longueur s'installe.

Reste surtout un livre qui, hors contexte et 60 ans plus tard, fait réfléchir et remet en perspective un combat pas toujours bien appréhendé vu d'ailleurs. Avec une dernière citation qui sonne comme évidente et glaçante :

« Je pense que mon frère blanc m'est grandement redevable quand je lui permets de m'accorder mes droits petit à petit. Mes droits m'appartiennent désormais. Il a de la chance que je ne les prenne pas tout d'un coup ».
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