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Critique de Patsales


Le livre commence par une anecdote suffisamment connue pour qu'un court-métrage animé lui ait été consacré: des ouvriers mandatés pour déboulonner la statue du Juif Mendelssohn jetèrent leur dévolu sur l'effigie dont l'appendice nasal était le plus proéminent et ce fut Wagner qu'ils retirèrent du toit de l'opéra praguois.
Mais ne commencez pas cette histoire si vous pensez y trouver une farce certes cruelle mais mâtinée d'humour: ce livre est atroce qui relate la vie dans le ghetto à la merci des soudards nazis.
Si les personnages présents dans le chapitre I vont plus ou moins revenir dans la suite du livre, le roman présente une narration éclatée, et les différents chapitres fonctionnent comme une série de scénettes presque indépendantes, à la manière de ce qu'a pu écrire Malaparte dans « Kaputt ».
Mais chez Malaparte l'horreur n'empêche ni l'esthétisme ni l'héroïsation. Tandis qu'ici le courage des héros ne tient pas la tragédie à distance: à la fin du livre, nul n'a survécu - ce qui est d'ailleurs un premier enseignement : se sacrifier ne rapporte pas plus mais pas moins que se compromettre. Des hommes meurent d'avoir abattu Heydrich sans pour autant empêcher la solution finale. Des fillettes meurent pour ne pas dénoncer ceux qui ont déjà été envoyés en camp d'extermination. Les membres du conseil juif meurent avec leur famille malgré leurs accommodements avec les bourreaux…
Mais la question posée par Jiri Weil est moins « Qu'est-ce qu'un héros ? » que « Qu'est-ce que l'art? ». L'assassinat de Heydrich est placé exactement au milieu du livre: l'homme est non seulement le concepteur de l'éradication planifiée des Juifs, mais aussi un esthète amoureux de la musique - un bourreau mélomane, donc. le titre du roman - Mendelssohn est sur le toit - renvoie ainsi à l'absurdité du fonctionnement bureaucratique nazi, mais aussi à deux thématiques qui irriguent toute l'oeuvre: la statuaire et la musique. Au point d'ailleurs que l'expression « musique des pierres » est utilisée par l'architecte préféré de Hitler, Albert Speer, badinant avec Heydrich.
La statuaire, comme la musique, est double. Elle représente la mort, celle du malade étouffé par la paralysie qui s'est emparée de son corps; celle de Prague déserte vidée de ses habitants ; celle du gibet dont la silhouette se confond avec le dépouillement de l'art déco. Elle représente aussi la vie quand elle permet de cacher des victuailles pour les affamés et l'espoir de ce qui perdure. de même, la musique est ce qui exalte Heydrich quand il torture un prisonnier, ce qui fait sourire les bourreaux quand les condamnés fredonnent à l'unisson un air qui ne les sauvera de rien, ce que n'entend pas le tortionnaire qui massacre des gamines puisant dans le souvenir de comptines la force de se taire.
Quand Heydrich va à l'opéra, c'est pour entendre Don Giovanni. Mais il ne comprend rien à l'avertissement du commandeur dont la statue invite le pécheur à descendre aux Enfers.
Et le lecteur y suit Don Juan, en se demandant de quoi préserve l'art si les esthètes peuvent se faire bourreaux.
Aussi, je tiens à remercier solennellement l'Union Soviétique pour avoir censuré un extrait du livre de Jiri Weil: dans mon édition, cet extrait retrouvé a été renvoyé à la fin et c'est lui que j'ai lu en dernier. Ce chapitre déplacé est l'un des rares moments d'espoir apporté par le livre: dans la statue passée au nez et à la barbe des nazis se cache un porc ébouillanté (qui s'avère donc être à la fois de l'art et du cochon). L'adepte du marché noir plus héros que le glorieux soldat de l'armée rouge, voilà qui valut à Jiri Weil de nombreux déboires. Mais mon révisionnisme petit-bourgeois m'a fait fermer ce livre sur un timide sourire, malgré le désastre.
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