Si les Français n'avaient pas gobé aussi bêtement les arguments de la propagande, s'ils avaient eu plus tôt ce sursaut de curiosité, comme mon camarade de chambre aujourd'hui, s'ils avaient cherché à savoir par eux-mêmes si vraiment le diable était incarné en chaque Juif, alors toutes les horreurs des camps n'auraient pas été commises.
Un mot, un seul résonne dans ma tête écorchée depuis que nous sommes sortis du camp : liberté. Avant d'entrer au Véld'Hiv, puis à Beaune-la-Rolande, je n'avais même pas envisagé que l'on veuille m'en priver. Je considérais que la liberté était mon droit, une propriété. Je pensais qu'étant né en France, je faisais automatiquement partie du peuple français. Je viens de découvrir que je fais d'abord partie du peuple juif, que je le veuille ou non.
- Alors? Et après?
Voilà la réponse. Après j'ai été aimé ou rejeté. Après, j'ai pleuré souvent, mais j'ai cherché le bonheur dans le moindre recoin où il pouvait se cacher, et j'ai su le dénicher. Et je me suis imposé une nouvelle épreuve, celle de tout raconter, ici, celle d'accomplir, une nouvelle fois, mon devoir de mémoire. Je le devais à mes parents, à mes deux soeurs, je le devais à Jo, je le devais aux soixante-quinze mille Français et aux quelques six millions de victimes de la barbarie nazie dans le monde.
- Vous allez être déportés.
La phrase parcourt la masse dense et somnolente que nous formons à présent. Le mot est répété, disséqué, expliqué.
- Déportés? Qu’est ce que ça veut dire déportés?
"Toutes mes certitudes ont disparu avec elle, tout ce qui m'était dû, son amour, l'amour que chaque mère doit à son enfant. Son amour me manque de manière indescriptible. Même si j'aime à nouveau, même si un jour je suis aimé, ce sera un autre amour. Il aura sa valeur, mais il ne sera rien comparé à celui de maman."
On nous a considérés comme des êtres inférieurs et on nous en a convaincus, les enfants au moins.
Il n'y a pas trente-six manières de survivre aux traumatismes que l'on a subis. Si on les laisse vous envahir la tête et le cœur toute la journée, c'est fichu. Ils prennent le pouvoir, ils finissent le travail commencé par les bourreaux du passé.
Régulièrement je me retournais pour voir comment allait mon petit frère : il suivait, mais péniblement. Et puis à un moment... Je ne sais pas... Je me suis retourné pour la énième fois, et je ne l'ai plus vu.
Puisqu'on n'a pas laissé mes parents vieillir auprès de moi, je leur rendrai cette justice en repeuplant la France de quelques petits Weismann. Et moi, personne ne m'en empêchera : je vieillirai à leurs côtés, on ne nous prendra pas.
témoignage boulversant, que de barbarie, comment pouvons-nous traîter des êtres humains comme des bêtes. Je dis un grand merci aux personnes restantes pour décrire ce qu'ils ont vécus, et beaucoup de respect à tous ces gens. bravo pour ce courage de revenir sur les lieux de tant de souffrance.