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Critique de Spilimbergo


Au risque de me faire incendier dès mon premier commentaire, ma critique va détonner dans ce concert de louanges envers Mr Werber.

Oui ses livres se lisent facilement, sa prose est simple et permet de donner une rapidité, difficilement atteignable autrement, au déroulement de l'histoire. Ça séduit le lecteur.
Oui les sujets traités sont intéressants.

Mais j'ai plusieurs reproches à faire à Mr Werber :

- ses romans, que je trouvais sinon révolutionnaires, du moins intéressants et rafraichissants au début (trilogie des fourmis et les Thanatonautes/l'Empire des Anges) me semblent en manque notoire d'inspiration : les personnages principaux se ressemblent les uns les autres quand ils ne ressemblent pas à l'auteur, les thèses développées sont globalement les mêmes, probablement reflet de la pensée de l'auteur (féminisme, écologisme et humanisme notamment, valeurs que je respecte). Si bien que depuis quelques années on a l'impression de lire et relire peu ou prou le même livre remaquillé à chaque parution.

- le style simple et rapide, s'il peut être accrocheur au départ, devient fatiguant. Certes c'est la marque de fabrique de l'auteur, mais il faut parfois explorer de nouvelles voies, quitte à se planter.
Mais il est bien plus pratique et confortable de rester dans un style qui a fait ses preuves, et qui permet d'être lu par le plus grand nombre, je le conçois.

- ma dernière critique est touche ce qui me gêne le plus dans ces romans : le manque total de rigueur scientifique! Je ne relève ici que les plus grosses, et seulement celles concernant "La Troisième humanité".
En effet, des personnages tels que Mélanie Tesquet, Richard et David Wells, présentés comme des scientifiques (un paléontologue et son assistante, l'autre un spécialiste de l'évolution) doivent avoir quelques notions de ce qu'est la rigueur scientifique : qu'un personnage présenté comme un éminent chercheur fasse l'erreur de nous dire que lorsqu'on multiplie la hauteur d'un individu par 10 (17m) , sa masse soit aussi multipliée par environ 10 (1 tonne) tout en gardant des proportions similaires à celles de notre espèce, c'est une aberration : si la taille est multipliée par 10, elle l'est dans les 3 dimensions de l'espace, et donc logiquement la masse est multipliée par un facteur 1000 (10x10x10). Ces individus pèseraient donc environ 100 tonnes. Pour comparaison, un éléphant d'Asie peut mesure 3,5m de haut, 6m de long et peser 5 tonnes.
De même pour le volume des poumons, qui devrait être multiplié par 1000 et non 10 (je passerai sur le raccourci "taille des poumonsx10 => apnée 10x plus longue, qui n'a aucun sens puisque les besoins en oxygène du corps sont relativement proportionnels à l'augmentation de la taille).

Une autre ineptie proférée par Richard Wells est celle qui dit que les individus de grande taille sont désavantagés par une baisse générale de la température du fait qu'ils perdent plus de chaleur que les petits. Je cite :
"- le climat change. Deuxième grande catastrophe après le déluge : une brusque glaciation. Cette baisse de température aurait joué en défaveur des géants, explique-t-il.
- Étant plus grands, ils avaient une plus large surface d'épiderme exposée au froid." (p 32)
A proportions égales, un individu plus grand a un rapport surface/volume (et donc à quelque chose près surface/masse) moins élevé, ce qui implique qu'il perdra moins d'énergie par unité de volume du fait du rayonnement thermique.
C'est ce que l'on appelle la règle de Bergmann.

Toujours pour expliquer la disparition de ces géants :
" - Voilà donc la quatrième catastrophe qui a frappé leur civilisation, déclare Vanessa.
Ils éclairent l'image qui représente une sorte de boule surgissant des nuages.
- On dirait un... astéroïde, murmure-t-elle.
Le choc aurait modifié la gravité, avantageant encore plus les petits humains au détriment des derniers géants, confirme Mélanie."

Depuis que la Terre existe, des objets célestes lui tombent sur le coin de la figure tous les quatre matins. Mais la masse de ces objets (même ajoutée) est tellement minime comparée à celle de notre planète que les modification de sa gravité peuvent être considérées comme nulles.
Donc deux choses l'une : soit cet astéroïde est assez colossal pour modifier la gravité terrestre, et on se retrouve avec un objet céleste qui n'a plus rien à voir le microbe de 10km de diamètre (oui, un microbe! La terre fait environ 12800km de diamètre...) qui vint à bout des dinosaures, et dans ce cas on a une extinction massive de la vie sur Terre y compris pour les "petits" humains (d'autant qu'avec un tel évènement les effets durent quelques centaines de milliers d'années, alors 8000 ans plus tard...).
Soit cet astéroïde ne provoque pas de catastrophe majeure et dans ce cas on peut considérer que sa taille n'est pas non plus suffisante pour induire un changement de gravité notable.

Une autre erreur "bête" est celle concernant la mémoire de la Terre. Que Mr Werber veuille donner une mémoire à cette bonne vieille Gaïa, allons-y! Que cette mémoire repose sur le pétrole, soit!
Mais dans ce cas, la Terre ne peut être capable de se souvenir d'évènements s'étant déroulés avant son apparition. La communauté scientifique considère que le pétrole est formé par accumulation puis enfouissement de matière organique dans des zones sédimentaires. Qui dit "matière organique" dit "vie". Vous l'aurez compris, le pétrole est apparu après la vie sur terre, donc, dans l'état actuel des connaissances, au mieux il y a 3,8 milliards d'années.
Et donc la Gaïa ne peut se souvenir de ce qui s'est passé avant, notamment du Big Bang, de sa formation, de la collision avec Théia, etc.


Je m'arrêterai là mais il ne s'agit là que des plus grosses aberrations que j'ai pu lire dans ce livre. Et elles seraient facilement évitable avec un peu de recherches et de rigueur.

Que Mr Werber veuille faire de la Terre un être conscient avec une mémoire basée sur le pétrole, cela ne me gêne pas, c'est de la science-fiction et je me dis pourquoi pas c'est assez original.
Mais que ses personnages "scientifiques" fassent des erreurs de raisonnement qu'un élève de deuxième année en fac de Biologie ne ferait pas, je trouve cela décevant et presque insultant pour le lecteur.


Voilà, ceci était mon coup de gueule. Mr Werber, un peu de nouveauté, un peu plus de rigueur scientifique (d'autant que vous êtes un ancien journaliste scientifique!), et vos histoires ne s'en porteront que mieux.



PS : p 182, on retrouve encore une erreur troublante de l'auteur à travers Gaïa (à moins qu'elle n'ait déjà perdu la boule?)
Passons sur l'inexactitude du "un jour un poisson sortit de l'eau", ce n'est clairement pas la façon dont tout cela s'est passé. Mais c'est un raccourci pratique (bien que lassant pour le biologiste moyen) qui permet d'expliquer "à peu près" comment les choses se sont passées.
Bref, l'objet ici est le manque de logique flagrant de Gaïa : elle date le début de la conquête terrestre par les vertébrés d'environ 521 millions d'années, nous dit qu'il s'agissait d'un herbivore, puis nous dit que des "plantes avec des racines" sont apparues il y a 475 Ma, soit presque 50 Ma plus tard que le premier vertébré terrestre. Son espèce aurait donc survécu 50 Ma sans manger???
Si les plantes terrestres apparaissent bel et bien il y a environ 475 Ma, les premiers tétrapodes (=>vertébrés terrestres) ne sont là que 100 Ma plus tard, largement précédés par les arthropodes.

Enfin, pour donner un aspect plus scientifique à ses personnages, Mr Werber aurait aussi pu écrire les noms scientifiques d'espèces en italique, comme le veut la nomenclature en vigueur (il s'agit là de pinaillage, certes).
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