Elle avait encore le droit d’essayer de faire ça pour lui : sauver sa mort, puisqu’elle ne pouvait sauver sa vie.
Car il est une chose plus pénible encore que d'apprendre la mort d'un être aimé, c'est de l'attendre. Elle n'avait jamais été patiente.
Sali Gravielle avait un sacré trou dans la poitrine, et, de ce trou, tout un pan de sa vie se dérobait et flottait hors d'atteinte, une écharpe en plein vol, désormais étranger.
Le bien et le mal n’avaient plus lieu d’être. L’amour engloutissait tout, empêchait la raison de reprendre le dessus. L’amour : je l’imagine en escalier biscornu, dont les marches parfois se dérobent, il faut continuer d’avancer, accepter d’être aveugle, guidés par autre chose que la lumière. De l’extérieur, ça paraît fou. Mais c’est ce qu’on dit de tout ce qu’on ne contrôle pas.
Lo Meo articule en silence. Sa peau ne tient plus, il nage dans la colle et ne peut rien faire, il se voit être englouti, par quoi, il hurle à l’intérieur, qu’est-ce que j’ai ?
Et puis soudain, même ces mots ne veulent plus rien dire. Là-haut, la glaciation a commencé, elle gagne du terrain. Les vaisseaux se figent, la centrale se met en veille, comme si un abruti venait de se prendre les pieds dans le câble et d’arracher brutalement la prise.
Sali s’approcha de Lo Meo. Il ne regardait rien. Elle contempla la peau brillante et les paupières bouffies, inspira bruyamment et expira, qu’est-ce que tu attends de moi ? Puis elle grimpa dans le lit qui a son tour soupira, siffla, gondola tant qu’elle n’eut pas trouvé sa position. Le dos catapulté par la barrière, elle se blottit au creux de son homme, la main sur son ventre, la tête sur son cœur ivre d’effort, et s’endormit enfin. Seule là était sa place.
Une grenade avait pété dans la tête de Lo Meo. A qui la faute, voilà le plus dur. Ils avaient dit qu’à ce stade même une rognure d’ongle aurait suffi, ses vaisseaux étaient devenus si petits, un rien pouvait faire barrage. Faire barrage. Couper la circulation. Route barrée, vies au caniveau. Un accident vasculaire cérébral comme un embouteillage en pleine campagne, l’horizon mangé par le dos rond des bagnoles […]
Une grenade, donc. Un minuscule débris, poussière qui flotte, dérive et, en quelques minutes, plus personne pour répondre. Lo Meo part de lui-même, s’échappe, se perd, et ne se retrouve plus. Tête sans lumière, corps de chiffon, passé gommé.
"...il est une chose plus pénible encore que d'apprendre la mort d'un être aimé, c'est de l'attendre"
Elle commença à violenter ses méninges à la recherche de son rôle dans l’histoire, la fin de leur histoire ; sa place n’était pas à côté, les bras chancelants et le cerveau pilonné, elle était avec.
Elle cessa alors d’épier le temps qui passe, prit le sablier en main, compta les grains à venir et se les appropria.