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Critique de HordeDuContrevent


Un très beau livre indéniablement. Un roman noir initiatique d'où la lumière, singulière, jaillit de sa sombre héroïne, écorchée vive, la bien nommée Duchess Day Radley, 13 ans, une « hors-la-loi » comme elle aime le souligner, Stetson en cuir sur la tête. Comme je n'ai jamais pu oublier Betty dans le roman éponyme de Tiffany McDaniel ou encore Turtle dans My absolute Darling de Gabriel Tallent, Duchess restera en moi à jamais, vibrante et sauvage. Duchess m'a illuminée par sa noirceur même.

Le roman ne tire pas sa singularité du scénario qui est de facture très classique, un polar aux ingrédients habituels et aux ressorts bien amenés, bien gérés, et dont il ne faut surtout rien dévoiler ici. Je n'ai pas été surprise par la façon dont se déroule l'histoire et ce n'est pas l'intrigue en elle-même qui a fait que j'ai dévoré ce livre en deux jours. Non, le génie et le charme irrésistible du récit proviennent de cette façon qu'a Chris Whitaker de camper ses personnages et de les rendre incroyablement attachants. Il provient aussi de l'atmosphère du livre mêlant nombreuses descriptions d'une Amérique sauvage d'une beauté à couper le souffle, des immensités de teintes naturelles, eau et terre (notamment le Wyoming, sublime) parsemées de villes de taille moyenne où tout le monde se connait et dans lesquelles certains voisins s'impliquent dans de malsaines milices de surveillance, villes de banlieue encerclées de zones commerciales sans âme. Nous sommes dans l'Amérique profonde. La beauté des paysages parfois nous choque tant les drames que vivent les personnages dans le livre sont glauques. Cela crée un ensemble particulier, comme si les drames humains, aussi noirs soient-ils, étaient d'insignifiantes choses au regard de la nature, immuable.

« Alors, quand tu me montres tout ça, toute cette beauté, toutes ces choses que tu vois et que tu penses que je vois aussi…Sache que ce n'est rien à côté de ce que j'ai vu avant. Ce violet, dit-elle en agitant la main vers le buisson de myrtilles. Il me fait penser aux hématomes qu'elle avait sur les côtes. le bleu de l'eau, ce sont ses yeux, assez translucides pour comprendre qu'il n'y a plus d'âme derrière. Tu respires cet air et tu le trouves frais, mais je ne peux même pas prendre une seule inspiration sans ressentir un coup, poursuivit-elle en se frappant la poitrine ».

Nous sommes plus précisément, au début du livre, à Cape Haven, petite bourgade californienne où s'est joué un drame il y a trente ans. Une petite fille de 4 ans, Sissy Radley, y fut renversée et tuée par un chauffart, Vincent King, quinze au moment des faits, qui se trouvait être le meilleur ami de l'actuel policier en charge de la ville, le gentil et débonnaire Walk. le livre démarre au moment où Vincent sort de prison ayant purgé sa peine et revient à Cape Haven. Ce drame a eu des conséquences sur toute la famille Radley, provoquant le suicide de la mère, l'isolement du père et la vie dissolue de la grande soeur, Star, l'ancienne petite copine de Vincent, qui enchaine désormais boulots plus ou moins avouables et amants de pacotille, et qui s'occupe comme elle peut, c'est-à-dire mal vu les circonstances, de ses deux enfants : Duchess, qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau, et le petit Robin. C'est Duchess qui joue le rôle de mère auprès de Robin et dès le départ le duo nous happe tant les liens entre les deux enfants sont forts, Duchess le défendant, le protégeant corps et âme, telle une lionne. Elle a autant de patience, de pédagogie, d'attentions, de douceur, de grâce avec son frère, qu'elle peut déployer une colère, une haine, une vulgarité, une impulsivité vis-à-vis de la société…Oui elle peut vriller et péter les plombs, elle a de la ressource Duchess, disant tout haut ce qu'elle pense tout bas, passant à l'acte parfois sans réfléchir, pour intimider et se donner de la force tant ils sont tous deux objets de moqueries et de commérages. Même si l'ennemi est un baraqué au visage glacial de tueur en série, Duchess il ne faut pas l'embêter, sa vengeance peut être terrible quel que soit l'adversaire. Une rebelle. Un petit bout de femme qui n'a presque pas eu d'enfance et qui étonne tant sa maturité côtoie des réactions enfantines. Une rebelle têtue qui pourrait énerver, qui se révèle être finalement terriblement attachante.

« Certains matins, elle surprenait le vieil homme qui regardait Robin en train de manger, ou bien avec ses poules, ou à grimper sur la herse, et il avait dans les yeux une expression moitié amour, moitié regret. Ces fois-là, elle devait lutter pour le détester, une lutte qu'elle remportait facilement dans les premiers temps, mais qui lui demandait de plus en plus d'efforts à présent ».

Aucun intérêt d'expliquer ici comment va se passer le retour de Vincent, vous imaginez bien qu'il ne va pas se passer comme l'aurait souhaité Walk. Ce dernier aurait tant aimé que tout soit comme avant, lorsqu'ils avaient quinze ans, ne voulant pas voir en son ami l'homme qu'il est mais seulement le garçon qu'il était. le malheur va de nouveau s'abattre sur Cape Haven, Vincent étant le cancer des Radley.
Attachons nous plutôt aux personnages et à la façon qu'emploie Chris Whitaker car sur ce point, indéniablement, l'auteur est très fort, voire prometteur. Il arrive pour certains personnages, plus secondaires, à nous les présenter en quelques coups de pinceaux, que ce soit le voisin fan de musculation, de voiture et de métal (voir ma citation le concernant), ou encore le voisin boucher de métier, Milton, gros, à l'odeur métallique de sang, comme incrustée en lui, dont les poils épais des avant-bras sont souvent envahis de petits morceaux de graisse ou de petits restes de viande…Ce sont de vraies caricatures qui font sourire ou donnent la nausée, et qui entourent les personnages principaux qui, eux, sont analysés au scalpel avec subtilité. C'est vrai pour Duchess, mais c'est vrai aussi pour Robin, pour leur touchant grand-père Hal (je ne cessais de voir Clint Eastwood dès qu'il apparaissait dans le roman), pour Walk, terriblement attachant, pour l'avocate Martha. Pour le jeune noir Thomas Noble amoureux fou de Duchess. Pour la vieille Dolly qui peut faire sourire par son look excentrique (cheveux roses et mini-jupe, enchainant cigarettes sur cigarettes) alors qu'elle est une belle personne au lourd passé. Et pour Vincent, le coupable, qui nous donne du fil à retordre. Tous, à différents moments, m'ont provoqué des serrements de coeur. Quelques débordements aussi, je dois avouer. Des larmes aux yeux. Des moments suspendus, le regard dans le vide.

Soulignons enfin une écriture sans surenchère, sincère avec quelques trouvailles que j'ai adorées (« Une vieille dame vint à leur rencontre, tout sourire, peau flasque et taches brunes, à croire que la terre réclamait sa chair mais que son cerveau refusait obstinément de céder ».) et, pour terminer, la magnifique couverture que souvent je regardais longuement en refermant le livre, comme pour mieux digérer le flux de pages que je venais de lire, mi-hébétée, mi-admirative. Un oeil, des lèvres, derrière un feuillage, le regard de Duchess, son murmure. Duchess à laquelle je ne cesse de penser depuis que j'ai fini ma lecture.

Au final, je ne suis pas prête d'oublier ce livre. le scénario comporte, il est vrai, quelques petites incohérences qui ne m'ont pas tant gênée, l'intrigue ne me semble pas novatrice, certes, mais l'originalité du livre se place ailleurs, dans l'atmosphère sombre où les lumières viennent des âmes qui y tourbillonnent et des paysages apaisants, refuges protecteurs. le fait de mettre au centre du livre un duo d'enfants, un frère et une soeur sur lesquels les malheurs ne cessent de s'enchaîner, peut paraitre recette facile pour toucher le lecteur. Ce n'est pas faux. Malgré tout, la recette marche magnifiquement. Chris Whithaker réussit à crever votre âme pour laisser fuser les étoiles à l'intérieur.

« Elle vit l'interminable ciel carbone commencer à se fissurer et la pluie diminuer, le bleu gagner peu à peu du terrain et le soleil bénir le sol pour la première fois en un mois »

Un immense merci à Babelio et aux belles éditions Sonatine pour l'envoie de ce livre en Masse critique privilégiée.


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