Non seulement je vais devenir un backslider (ceux qui désertent la Famille), un traître du clan, mais en plus je serai un ennemi en déblatérant aux autorités les coulisses honteuses de notre existence. On va me maudire, me répudier. On invoquera les foudres du Seigneur sur mon nom. On priera sur une photo de moi pour que j’aie des malédictions. On mobilisera la haine à mon égard.
Je vais devenir leur infamie.
Arrivée à la gendarmerie, je commence un après-midi de formulation verbale, assise devant un homme qui frappe péniblement sur son clavier, sous des néons jaunes. Il me demande d’être très précise, de donner un maximum d’indications sur les actes sexuels, leur nature, leur fréquence... J’explique au mieux, sans détour.
– Je suis née en 1978, dans la secte des Enfants de Dieu, ou la Famille...
Lorsque je me réveille, il fait jour au-dehors, et j’entends la voix de Patrick, qui est là et qui discute avec Maman et Max. Je m’extrais de la tente, toute bouffie de sommeil, la tête comme une étoupe. Je le vois assis au sol, qui me dit bonjour gentiment. Je ne m’étais pas trompée, il est remarquablement beau. Maman ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de faire sa belle roucoulante.
– Tu ne m’avais pas dit que tu avais 12 ans, Catherine, dit-il comme pour s’excuser devant Max et Maman.
– C’est vrai, on en a pas parlé, je réponds encore groggy.