Imposteur, tome 2 : Déserteur

- [...] J'étais persuadé que j'étais magicien et que j'allais recevoir une lettre de Poudlard ! (Sa poitrine tressaute : il rigole en sourdine.) Mes parents ont cru que j'exagérais. Ils ont arrêté de me lire Harry Potter le soir même.
- Et alors ? Tu l'as eue, ta lettre ?
- Non. Mais je n'ai pas lâché l'affaire pour autant. J'étais devenue carrément accro aux chouettes. Mon père a fini par m'expliquer que je devais être patient. Il m'a rappelé qu'il fallait avoir fêté son onzième anniversaire pour recevoir une lettre de Poudlard. Entre-temps, j'avais déjà compris que ce n'était pas de la magie. Et que je ne pouvais pas le dire à mes parents

Il descend légèrement sa main pour que je puisse admirer le résultat (une peau parfaitement lisse, sans la moindre cicatrice), mais il ne l’enlève pas. Elle a juste glissé pour épouser ma taille. Ses yeux cherchent les miens, se posent brièvement sur mes lèvres et remontent. J’ai la bouche sèche, tout à coup. Je connais ce regard-là. Je sais ce qu’il signifie.

Je dois vraiment prendre sur moi, là. Sinon, j’enverrais valser sa foutue vitrine, avec ses soldats de plomb à la con. Pas un grain de poussière là-dedans. Ça doit être comme ça qu’il occupe ses soirées : à astiquer ses petits soldats jusqu’à ce qu’ils étincellent. Je me demande parfois s’il ne fait pas plus attention à eux qu’à nous.

Je me dirige vers le pupitre, installé au centre de la scène. Peu à peu, les applaudissements cessent. Je balaie le public du regard, histoire de vérifier qu’il n’y a rien d’anormal. RAS. La majorité des fauteuils sont occupés par des gens d’une vingtaine d’années. Ils tomberaient de leur siège, je parie, s’ils savaient que le conférencier qu’ils viennent écouter si religieusement est, en fait, une fille de seize ans.

Il me montre un gros cylindre rouge sur la table de chevet.
Un peu too much, le coup de la bougie. C'est plus fort que moi, j'éclate de rire.
- Y aurait pas du Holly là-dessous, par hasard ?
Je la vois d'ici le suivre à la trace en lui rabâchant sa recette de la soirée romantique idéale.
- Possible.
- Oui, eh bien, je suis pas trop bougie, en fait. Dans le genre lumière tamisée, je préfère largement le sabre laser.
- Ouf ! Elle est parfumée en plus, ça pue.

Devon se penche vers moi, sans cesser de me regarder dans les yeux, cherchant un signe, un avertissement, un assentiment peut-être. Oh ! il me laisse tout le temps de reculer, je ne peux pas dire le contraire. Mais je ne bouge toujours pas. C’est juste un petit baiser, léger et tendre. Aucun de nous deux n’a cherché à le prolonger. Devon pose son front contre le mien.

— Il te ment, Tessa, reprend-elle, en me secouant le bras pour m’obliger à la regarder. Depuis le début. Alec est un Double Variant. Il ne te l’a jamais dit et il ne te le dira jamais.

D’autres scènes passent encore dans les yeux de Zach : un enterrement ; une maison à Livingston ; un garçon blond baignant dans une mare de sang ; du brouillard et un garçon avec un couteau à la main ; un autre garçon aux yeux gris avec un dragon tatoué sur l’épaule, mais je ne les connais pas…

Je ne suis pas près d’oublier le regard qu’il me lance à ce moment-là. Mais je ne peux plus revenir en arrière. Ce qui est fait est fait. La page est tournée.

J'ai besoin de découvrir la réelle étendue des éléments qu'on m'a cachés. Parce que j'ai comme l'impression que le Commandant ne m'a pas dit toute la vérité. Même pas la moitié. Or, il est probablement le seul à connaître l'histoire dans on intégralité. Une seule façon de le vérifier : prendre sa place. Devenir Antonio Sanchez, commandant en chef de la Cellule des aptitudes extraordinaires.