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Critique de colimasson


Carl Gustav Jung, les décennies bien tassées, se plaisait à faire des petites constructions dans la terre et la boue, avec des cailloux, pour renouer avec son côté enfantin et son esprit de jeu. Donald Winnicott se fiche lui aussi d'avoir l'air sérieux et on le voit souvent ramper par terre et babiller avec les bébés. Il ne les méprise pas, il sait qu'ils ont quelque chose à lui dire, à leur façon.


Donald Winnicott ne s'incline pas seulement devant les bébés. Il commence son livre en remerciant plus généralement ses patients pour tout ce qu'ils lui ont appris, bien loin de ce qu'il pouvait imaginer connaître avant de commencer sa carrière. En cela, il se rapproche des chantres de l‘anti-psychiatrie, Ronald Laing et David Cooper en tête, qui affirmaient que du patient ou du médecin, le malade n'était pas toujours celui que l'on croyait. Etendant son humilité à l'étendue de ses pratiques, Donald Winnicott interroge ses certitudes pour les remettre en question à chaque fois que l'occasion se présente à lui de réviser ses acquis, et lorsqu'on lui dit que l'individu se définit par ses relations interpersonnelles externes et sa réalité intérieure, il propose une troisième zone d'existence : l'aire intermédiaire d'expérience, à laquelle contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure.


Cette aire intermédiaire d'expérience se constitue chez le nourrisson dans son rapport avec sa mère (rappelons que la mère peut être n'importe quel prototype protecteur, à la limite un robot bien programmé ferait l'affaire, voire un hologramme si celui-ci avait un peu de consistance), puis dans son rapport avec son environnement. Un seul critère pour ceux-ci : être suffisamment bon, c'est-à-dire ni trop ni trop peu. Trop peu et l'enfant, livré à lui-même, n'aurait pas la confiance nécessaire pour élaborer cette aire intermédiaire d'expérience. Trop et l'enfant n'en ressentirait pas le besoin, se retrouvant ainsi bien dépourvu lorsque l'hiver affectif viendra un jour ou l'autre frapper à sa porte.


« La mère (qui n'est pas forcément la propre mère de l'enfant) suffisamment bonne est celle qui s'adapte activement aux besoins de l'enfant. Cette adaptation active diminue progressivement, à mesure que s'accroît la capacité de l'enfant de faire face à une défaillance d'adaptation et de tolérer les résultats de la frustration. […]
En fait, pour que les soins soient bénéfiques, c'est le dévouement qui importe, non le savoir-faire ou les connaissances intellectuelles. »


Rien de bien sorcier, mais il fallait oser le dire. Donald Winnicott se montre proprement génial et réaliste en proposant que la perfection n'existe pas, qu'il faut arrêter de se prendre la tête avec des dogmes conçus une fois pour toutes, qu'on aimerait appliquer à tout le monde et surtout à n'importe qui. A chacun selon ses besoins.


« [Le phénomène ou l'objet transitionnel] est une défense contre l'angoisse, en particulier contre l'angoisse de type dépressif. »


Et hop, une petite angoisse pas trop longue et supportable, et le bébé investit l'objet transitionnel (qui peut être un bout de ficelle, une peluche, un rituel ou un visage). Celui-ci va subir plusieurs phases de tests : prise de possession, amour et haine, constance, aptitude à survivre à la destruction, vitalité. L'objet est condamné dès le début à connaître un désinvestissement progressif qui témoigne du bon développement de l'enfant. Winnicott résume très bien ce processus dans son hallucination auditive du discours qui pourrait relier le bébé à l'objet, si tous deux parlaient comment vous et moi :


« le sujet dit à l'objet : « Je t'ai détruit », et l'objet est là, qui reçoit cette communication. A partir de là, le sujet dit : « Hé ! l'objet, je t'ai détruit. » « Je t'aime. » « Tu comptes pour moi parce que tu survis à ma destruction de toi. » »


Dans ce rapport avec l'objet transitionnel s'élaborera l'aire intermédiaire d'expérimentation :


« L'aire intermédiaire à laquelle je me réfère est une aire, allouée à l'enfant, qui se situe entre la créativité primaire et la perception objective basée sur l'épreuve de réalité. »


On comprend que ces observations permettent à Winnicott de mieux comprendre les problèmes des enfants, sans exclure les problèmes des adultes qui ont morflé dès les premières années de leur vie, et qui ne s'en sont jamais vraiment remis. Plus étonnant encore, la réflexion peut se transposer également au processus thérapeutique en lui-même. Winnicott ne s'illusionne pas. Freud et compagnie ont beau prendre leur petit air sérieux, au fond, ils s'amusent toute la journée. le thérapeute est la maman, le patient est le bébé, et la séance qui les réunit est une belle aire de jeux dont les règles s'établissent progressivement.


« En psychothérapie, à qui a-t-on affaire ? A deux personnes en train de jouer ensemble. le corollaire sera donc que là où le jeu n'est pas possible, le travail du thérapeute vise à amener le patient d'un état où il n'est pas capable de jouer à un état où il est capable de la faire. »


On comprend l'excitation réciproque : à quel jeu allons-nous nous frotter ? le thérapeute espère bien sûr ne pas devoir perdre la partie, mais les jeux les plus diaboliques sont ceux qui ne se terminent jamais. Ceux-ci restent dans la mémoire du thérapeute comme un souvenir des plus cuisants échecs. Pour éviter cela, il ne faut pas tricher avec les interprétations toutes prêtes qu'on passe au four à micro-ondes, et qui se décomposent sitôt servies dans l'assiette.


« le patient a été incapable de se reposer en raison d'une défaillance de l'apport de l'environnement qui a annulé le sentiment de confiance. le thérapeute a, à son insu, abandonné son rôle professionnel et il l'a fait en revenant au rôle de l'analyste intelligent qui veut mettre de l'ordre dans le chaos. »


Enfin, Winnicott étend également ses observations à ces grands nourrissons que sont les adolescents. A la pulsion de mort qui imprègne les plus jeunes succède alors la pulsion de meurtre. Qui est visé ? Les parents, la famille, l'environnement le plus immédiat, dans la tourmente de la crise d'adolescence. Winnicott fournit alors des conseils précieux aux parents dépourvus de la société moderne lorsque celle-ci, usant de sa plus cruelle coercition douce, leur enjoint de se montrer cool à outrance. Au fond, le gosse n'a pas vraiment envie d'aller en boîte à quatorze ans (de toute façon, il n'a pas encore de quoi se payer une bouteille de vodka) et il trouve ça beaucoup plus excitant de lutter pour réclamer ce droit. Il brandit son désir comme une arme, pour tuer ses parents, espérant moins qu'ils n'abdiquent qu'ils ne résistent.


« On peut estimer que [laisser tomber votre responsabilité d'adulte], c'est laisser tomber vos enfants (à un moment critique). A ce jeu de la vie, vous abdiquez précisément au moment où ils viennent pour vous tuer. Y a-t-il alors quelqu'un d'heureux ? Certainement pas l'adolescent qui devient celui sur lequel on s'appuie. L'activité de l'imagination se perd, la lutte de l'immaturité cesse. Se rebeller n'a plus de sens, l'adolescent qui remporte trop tôt la victoire est pris à son propre piège.»


Libre à chacun de ramper devant ses gosses si cette éducation doit les conduire à une destination précise, mesurée, réfléchie, mais s'il s'agit seulement de paraître détendu, en accord avec les injonctions contradictoires d'une société qui veut faire croire qu'elle a bien digéré son mai 68, cessez le massacre. Soyez adultes, osez représenter une figure que l'enfant pourra respecter et sur laquelle il pourra se reposer jusqu'à ce qu'il ait atteint sa vraie maturité. En attendant, permettez-lui encore d'être un peu fou, fou de cette manière particulière qui lui est concédée. « Cette folie ne deviendra véritable folie que si elle apparaît plus tardivement ». Et là, autant dire que le jeu sera bien plus laborieux.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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