On ne dresse pas les enfants comme les chiens qu'on entraîne à rapporter. Les enfants, ça ressemble aux bébés lions ou tigres, ça rugit et ça mort. Essayer de les dompter, c'est débile.
J'habitais près du quartier sombre de la ville, que seuls ceux qui y vivent connaissent. Avec des filles frissonnantes au coin des rues, des garçons vêtus de noir debout dans les ruelles, les mains enfoncées dans les poches. Des fenêtres sales. Des sonnettes graisseuses. Du vomi sur les trottoirs. Et dans les appartements, des interrupteurs noircis par tous les doigts qui les touchaient. Les gens qui pénétraient en voiture dans cette zone se dépêchaient de fermer les vitres et d'éteindre la radio. Par chance, on habitait la partie relativement plus sûre du quartier, où les enfants comme moi pouvaient encore aller à l'école à pied, tandis qu'à quelques pâtés de maison de là, des criminels rôdaient.
A l'époque, les cigarettes étaient un don de Dieu, et si vous portiez des bijoux, quels qu'ils soient, on vous considérait comme riche. Moi, je n'en avais pas, sauf un pendentif fait d'un anneau de pierre avec un fil de soie enroulé autour. J'avais les ongles crasseux et les jambes maigres. Je ne savais pas à quelle catégorie j'appartenais.
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Je n'aime pas qu'on me touche. Il se trouve que quand quelqu'un me touche, son âme s'infiltre en moi par les pores de ma peau et me perfore les vaisseaux sanguins et les autres machins. Et je déteste sentir les âmes des autres. J'ai déjà assez de soucis comme ça avec la mienne.
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