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Critique de Sachka


Sachka
18 décembre 2021
"Quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants. C'est toujours mieux de vivre que d'être mort..."

Vivre oui. La vie nous est offerte pour un jour, pour un mois, pour des années. Qu'importe pour combien de temps, l'important c'est ce qu'on transmet aujourd'hui pour demain et ça l'aïeul l'a compris il y a longtemps déjà.

L'aïeul a 72 ans, il connaît la terre et ses secrets, toute sa vie durant il l'a cultivée. Il vit dans un petit village perdu dans les montagnes en Chine, l'auteur ne donnant que peu de précisions quant au lieu et à l'époque je me suis donc plu à imaginer les décors majestueux des monts Balou si chers à son coeur. L'aïeul a pour seule compagnie un chien qu'il a rebaptisé "l'aveugle" quand il l'a recueilli après qu'il a eu les yeux atrocement mutilés par la stupidité et les croyances infondées des hommes et des femmes de son village qui ont tous fui vers des contrées plus hospitalières après qu'une sècheresse des plus terribles se soit abattue sur le village.

L'aïeul est vieux (du moins il l'est pour la vie qu'il mène) mais il a le coeur d'un jeune homme, un coeur bon et humble aussi il n'a pas hésité à recueillir le chien après que les villageois l'aient attaché entre deux jarres remplies d'eau l'obligeant à faire face à un soleil de plomb pendant des jours et des jours dans l'espoir de faire venir la pluie sur les semences d'automne, la pluie tant espérée... Mais la pluie n'est jamais venue, les prières des villageois sont restées vaines avec pour seuls échos les aboiements du chien qui a hurlé encore et encore face à l'astre ingrat dont les rayons toujours plus accablants ont transpercé les couches de nuages sombres. Alors la terre s'est fissurée, crevassée, desséchée, elle est devenue un ventre stérile, vide de tout engrais, incapable de donner la vie, la vie qui elle a complètement disparu au dix-neuvième jour de la sixième lune. Et c'est ainsi que le vieil homme est resté seul comme le gardien qui ferme la porte, seul avec l'aveugle auprès du pied de maïs planté dans le champ en contrebas du village, y installant sa couche et celle du chien, y passant désormais ses jours et ses nuits, lui prodiguant un soin méticuleux comme s'il en allait de sa vie, lui offrant ses urines ainsi que celles du chien chaque matin, s'émerveillant comme un enfant de le voir grandir, s'épanouir, chaque nouvelle pousse comme un miracle de la vie qui continue malgré tout dans un milieu hostile bientôt envahi par les vents et par une horde de rats aussi affamés que l'aïeul et son chien contre lesquels ils vont devoir mener un ultime combat s'ils veulent récupérer les graines semées dans les champs par les villageois avant leur départ. Un ultime combat pour leur survie comme l'aïeul le fera héroïquement contre les loups pour libérer la source d'eau.

"Les jours, les mois, les années" c'est le temps qui passe, qui s'effrite, qui fait son oeuvre. C'est le temps que prend l'aïeul pour observer, écouter, comprendre la nature. C'est le temps de la regarder croître, de lui parler doucement comme on berce un enfant. C'est l'amour qu'il porte à son chien, c'est le regard bienveillant, c'est la main qui caresse pour apaiser la douleur. C'est donner sans rien attendre d'autre en retour que la vie qui renaît dans un pied de maïs et c'est surtout le courage et la détermination d'un homme qui sait qu'il arrive au bout de son chemin.

Lianke Yan nous offre un récit bouleversant dans lequel il célèbre la vie cruelle mais la vie quand même, dans toute son essence et dans ce qu'elle comporte de plus pur, de plus essentiel : l'eau, la terre, les éléments. Un texte empreint d'une belle poésie qui nous remet à notre place d'humain et qui nous rappelle les vraies valeurs qui font que la vie est possible. Chaque larme que le chien a versé de ses yeux mutilés m'a brisé le coeur ; chaque juron, chaque réflexion souvent pleine de malice de l'aïeul m'a fait sourire et une chose est certaine c'est que dans la lente agonie, la souffrance, la faim, la soif de l'aïeul et de son chien, Lianke Yan y a mis toute la beauté du monde de demain car finalement l'essentiel réside dans ce qui part, dans ce qu'il reste de nous et rien n'est jamais vain. Quelques grains de maïs et c'est la vie qui renaît quelque part sur le flanc d'une montagne en Chine ou ailleurs...



* Mes remerciements à Sandrine qui a permis cette lecture, à Mh pour ses partages réguliers sur l'auteur. Je vous invite à lire les belles critiques de HundredDreams, MH17, HordeduContrevent, Croquignol, gonewiththegreen, Osmanthe, Annette55 et toutes les autres que je n'ai pas encore eu le temps de lire.


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