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sur 152 notes
Un conte chinois aux allures de fable africaine. Quelle beauté ce chant, ce cri de Lianke Yan ! Quelle émotion à la lecture de ce conte dédié à la ténacité ! La sécheresse est au coeur du récit, une sécheresse impitoyable.

Dans les montagnes chinoises, sévit en effet une sécheresse intense, un soleil de plomb qui brille en grappes infinies au-dessus des têtes, contraignant les habitants du village, à court d'eau et de nourriture, à fuir, longue marche afin de trouver leur subsistance ailleurs. Seul l'aïeul de 72 ans, désire rester, il le sait cette marche sous le soleil ardent lui sera fatale, et de plus, avec son chien devenu aveugle du fait d'un rituel cruel pour faire revenir la pluie, il souhaite veiller sur un unique pied de maïs apparu dans son champ. Pied de maïs bien dérisoire dans ce vaste champ mais symbole de vie, symbole de lutte, symbole même d'une force et d'une virilité retrouvée.

L'Aïeul, l'Aveugle et le Pied de maïs voici donc nos trois protagonistes. Chaque jour est une lutte, chaque jour le vieil homme, aidé de son chien, se battent et défient tous les obstacles, le soleil de plomb, les rats, les loups, pour se nourrir, pour boire et faire croître ce pied de maïs. Une force surhumaine et magique, complice et onirique les anime, comme enveloppée d'un souffle animiste. Des jours qui deviennent des semaines, puis des mois. L'espoir : en veillant sur ce plant jour et nuit, en l'arrosant, en l'aimant, en le lavant, l'espoir que ce plant fournisse des épis lors du retour éventuel des villageois, et leur donnent donc de nouvelles semences. L'attente de la maturité où les rayons du soleil pèsent plus lourd que les réserves de grains.

La chaleur est déclinée sous toutes ces formes, décrite de façon somptueuse et imagée, elle nous étouffe nous-même lecteurs : « Il sentit la chaleur d'une gifle sur le visage. A la commissure des paupières, du côté exposé au soleil, la brûlure semblait dissimuler au creux des rides un chapelet d'innombrables gouttes bouillantes ».

Chaleur tellement insupportable que le vieil homme tente de la dompter et de la cravacher, voyez comme sa rage est belle : « La lanière fine et flexible se courbait puis se redressait tel un serpent dans le ciel, on aurait dit qu'à la pointe de la cravache la foudre éclatait, frappant la couronne solaire dont les morceaux incandescents tombaient doucement pour recouvrir le sol d'une multitude de fleurs luminescentes ».

La puissance évocatrice pour parler des animaux est remarquable. Que ce soit les yeux émeraudes des loups en pleine nuit, ou le regard de son chien avec lequel il est à présent inextricablement lié : « le chien se tenait là, sans comprendre, une expression d'égarement mouillée dans les puits asséchés de ses orbites ».

Ce texte, c'est à la fois une caresse de soie et une gifle de boue, c'est la vie avec toutes ses beautés, et ses innombrables difficultés, ses espoirs et ses angoisses. C'est un message pour nous dire de vivre un jour après l'autre, en n'abandonnant jamais, en étant toujours attentif aux beautés de la nature : « L'horizon rouge du couchant se faisait de plus en plus mince et l'aïeul entendait le froissement des rayons qui se retiraient comme un pan de soie. Ramassant les grains émiettés au creux de la pierre, il songea qu'une journée encore venait de s'achever, et qu'il ignorait comment il pourrait passer la suivante ».

Un combat hypnotique universel d'une profonde humanité, une lutte pour la survie sertie d'une écriture poétique et onirique, les images sont surprenantes et d'une beauté simple à couper le souffle. La sécheresse narrée au moyen d'un texte luxuriant et foisonnant dont on ressort les yeux humides d'émotion et le coeur gros. Très gros.

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"Quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants. C'est toujours mieux de vivre que d'être mort..."

Vivre oui. La vie nous est offerte pour un jour, pour un mois, pour des années. Qu'importe pour combien de temps, l'important c'est ce qu'on transmet aujourd'hui pour demain et ça l'aïeul l'a compris il y a longtemps déjà.

L'aïeul a 72 ans, il connaît la terre et ses secrets, toute sa vie durant il l'a cultivée. Il vit dans un petit village perdu dans les montagnes en Chine, l'auteur ne donnant que peu de précisions quant au lieu et à l'époque je me suis donc plu à imaginer les décors majestueux des monts Balou si chers à son coeur. L'aïeul a pour seule compagnie un chien qu'il a rebaptisé "l'aveugle" quand il l'a recueilli après qu'il a eu les yeux atrocement mutilés par la stupidité et les croyances infondées des hommes et des femmes de son village qui ont tous fui vers des contrées plus hospitalières après qu'une sècheresse des plus terribles se soit abattue sur le village.

L'aïeul est vieux (du moins il l'est pour la vie qu'il mène) mais il a le coeur d'un jeune homme, un coeur bon et humble aussi il n'a pas hésité à recueillir le chien après que les villageois l'aient attaché entre deux jarres remplies d'eau l'obligeant à faire face à un soleil de plomb pendant des jours et des jours dans l'espoir de faire venir la pluie sur les semences d'automne, la pluie tant espérée... Mais la pluie n'est jamais venue, les prières des villageois sont restées vaines avec pour seuls échos les aboiements du chien qui a hurlé encore et encore face à l'astre ingrat dont les rayons toujours plus accablants ont transpercé les couches de nuages sombres. Alors la terre s'est fissurée, crevassée, desséchée, elle est devenue un ventre stérile, vide de tout engrais, incapable de donner la vie, la vie qui elle a complètement disparu au dix-neuvième jour de la sixième lune. Et c'est ainsi que le vieil homme est resté seul comme le gardien qui ferme la porte, seul avec l'aveugle auprès du pied de maïs planté dans le champ en contrebas du village, y installant sa couche et celle du chien, y passant désormais ses jours et ses nuits, lui prodiguant un soin méticuleux comme s'il en allait de sa vie, lui offrant ses urines ainsi que celles du chien chaque matin, s'émerveillant comme un enfant de le voir grandir, s'épanouir, chaque nouvelle pousse comme un miracle de la vie qui continue malgré tout dans un milieu hostile bientôt envahi par les vents et par une horde de rats aussi affamés que l'aïeul et son chien contre lesquels ils vont devoir mener un ultime combat s'ils veulent récupérer les graines semées dans les champs par les villageois avant leur départ. Un ultime combat pour leur survie comme l'aïeul le fera héroïquement contre les loups pour libérer la source d'eau.

"Les jours, les mois, les années" c'est le temps qui passe, qui s'effrite, qui fait son oeuvre. C'est le temps que prend l'aïeul pour observer, écouter, comprendre la nature. C'est le temps de la regarder croître, de lui parler doucement comme on berce un enfant. C'est l'amour qu'il porte à son chien, c'est le regard bienveillant, c'est la main qui caresse pour apaiser la douleur. C'est donner sans rien attendre d'autre en retour que la vie qui renaît dans un pied de maïs et c'est surtout le courage et la détermination d'un homme qui sait qu'il arrive au bout de son chemin.

Lianke Yan nous offre un récit bouleversant dans lequel il célèbre la vie cruelle mais la vie quand même, dans toute son essence et dans ce qu'elle comporte de plus pur, de plus essentiel : l'eau, la terre, les éléments. Un texte empreint d'une belle poésie qui nous remet à notre place d'humain et qui nous rappelle les vraies valeurs qui font que la vie est possible. Chaque larme que le chien a versé de ses yeux mutilés m'a brisé le coeur ; chaque juron, chaque réflexion souvent pleine de malice de l'aïeul m'a fait sourire et une chose est certaine c'est que dans la lente agonie, la souffrance, la faim, la soif de l'aïeul et de son chien, Lianke Yan y a mis toute la beauté du monde de demain car finalement l'essentiel réside dans ce qui part, dans ce qu'il reste de nous et rien n'est jamais vain. Quelques grains de maïs et c'est la vie qui renaît quelque part sur le flanc d'une montagne en Chine ou ailleurs...



* Mes remerciements à Sandrine qui a permis cette lecture, à Mh pour ses partages réguliers sur l'auteur. Je vous invite à lire les belles critiques de HundredDreams, MH17, HordeduContrevent, Croquignol, gonewiththegreen, Osmanthe, Annette55 et toutes les autres que je n'ai pas encore eu le temps de lire.


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Un vieillard, que ses forces déclinantes ont empêché de partir avec les autres habitants du village, se retrouve seul pour affronter la sécheresse et la famine. Avec son chien aveugle, il tente de survivre, quelques jours, des semaines, puis des mois, luttant contre un soleil de plomb, une invasion de rats et même une horde de loups. Son seul gage d'avenir est de réussir à faire pousser, coûte que coûte, son ultime pied de maïs.


Le vieil homme, le chien et le pied de maïs : tel aurait pu être le titre de cette fable, que, connaissant la dissidence politique de Yan Lianke en Chine, il n'est pas très difficile de deviner lourde de sens.


Au premier degré, le récit est un conte tragique, aux consonances presque fantastiques. Deux pauvres créatures, de plus en plus exsangues, se retrouvent en butte à une série d'épreuves et de calamités d'une ampleur absolument inédite et dévastatrice. Quand tout le monde a fui, tous deux résistent avec l'énergie du désespoir, compensant leur faiblesse par leur détermination et leur ruse, repoussant jour après jour une échéance que tout désigne pourtant inéluctable. A la stérilité soudaine de leur terre, asséchée par l'implacabilité quasi surnaturelle d'un astre chauffé à blanc, s'ajoutent les féroces attaques d'ennemis organisés en bandes : sournoise marée de rats peu ragoûtants, dévastant tout son son passage ; sanguinaire horde de loups resserrant inexorablement son machiavélique et terrifiant encerclement. Luttant pied à pied dans un combat de chaque instant qui les emmène insensiblement vers demain, le vieillard et le chien unissent leurs efforts pour sauver la fragile pousse verte qui doit laisser une chance à l'avenir, si ce n'est le leur, peut-être au moins celui de la génération suivante, si jamais elle revient un jour au village.


C'est ainsi que derrière la silhouette du vieil homme solitairement obstiné à sauver son pied de maïs pour de futures semences, finit par s'imposer l'image de l'écrivain, s'évertuant à préserver de l'étouffement la modeste pousse de liberté qu'est sa parole dans le chaos et la violence de l'oppression, avec l'espoir qu'elle essaime et trouve un jour une relève, pour peu que tous les intellectuels de Chine osent faire de même.


Acte de foi en l'inaliénabilité fondamentale de la liberté, ce texte magnifique d'espoir et de poésie, porté par une langue de toute beauté, est un bouquet d'émotions sur l'autel de l'humanité bafouée par l'oppression. C'est aussi une oeuvre admirable de courage, qui par bien des aspects, m'a fait penser à celles d'Ahmet Altan. L'un comme l'autre, ces deux écrivains continuent à faire entendre leur voix, malgré l'oppression subie dans leur pays respectif. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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"Le vent meurt –
les herbes
s'habillent de deuil"
(Aioigaki Kajin) 

***

Dans une région reculée de haute montagne 
sévit une sécheresse impitoyable rendant incultes les terres autrefois nourricières. Fuyant la famine, les habitants ont pris tour à tour le chemin de l'exode. 

Seul l'aîné du village, trop affaibli pour suivre des jours durant le cortège, est resté avec son chien surnommé l'aveugle pour veiller sur l'unique et ô combien précieux pied de maïs qui pousse dans son champ. 

"J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche, je tomberai épuisé. N'importe comment,  je vais mourir,  je préfère mourir ici."

*

Symbolisant le triomphe de la Vie face à l'adversité, la plantule se dresse timidement vers les cieux et déploie une à une ses feuilles. 

Tel un parent aimant, l'aïeul prend soin de ce germe d'espoir pour le futur. Il lui parle, écoute ses besoins, surveille sa croissance, et surtout le protège contre les rayons brûlants et  meurtriers du soleil. 

"L'aïeul pensait que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme des semences lorsqu'ils reviendraient (...). Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau (...) des champs et des champs de maïs à perte de vue."

*

Chaque jour est une lutte acharnée contre les éléments, l'amenuisement des ressources vitales et les nombreux dangers  qui rôdent alentour. 

Si les hommes ne sont beaux que des décisions qu'ils prennent, l'aïeul lui, resplendit par son courage, son obstination, et son sens du sacrifice qui forcent l'admiration. 

Au crépuscule de sa vie, fort de la sagesse accumulée avec les ans, il a saisi l'importance de poursuivre un objectif plus élevé que soi : transmettre le fruit de son savoir et de son labeur pour construire l'avenir.

"(...) quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants."

*

Pour son dernier combat, il peut compter sur la présence, le dévouement et la fidélité sans faille de son animal. Ce sont deux solitudes qui se sont trouvées et communient au-delà des mots. 

Compagnons d'infortune mais aussi de réflexions existentielles, ils partagent une relation complice des plus tendres et touchantes. 

"L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là,  ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux. Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord? Avec un compagnon,  la vie est plus savoureuse.(...) Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort."

*

Coup de coeur immense pour ce conte à la fois intemporel et universel que nous offre  l'écrivain chinois Yan Lianke. Nimbée de poésie, sa prose envoûtante et  subtilement évocatrice, caresse l'émotion. C'est  avec le coeur serré et les yeux humides que j'ai tourné la dernière page. 

Aussi bref que puissant, ce récit bouleversant d'humanité constitue une véritable ode à la vie exhalant ce qu'elle a de plus beau, de plus fort, de plus fragile et de plus triste aussi. 

Une petit joyau littéraire riche en sens à ne surtout pas manquer…
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Cela faisait bien longtemps que je n'avais plus lu un roman asiatique. Quel plaisir de renouer avec cette écriture à part, teintée d'onirisme, effleurant l'âme et le coeur. Merci à @HordeDuContrevent de m'avoir encouragée à m'aventurer loin de ma zone de confort. Sa chronique a fait mouche !

Une sécheresse impitoyable s'abat sur un petit village en Chine contraignant tous les habitants à fuir à la recherche d'eau et de nourriture. L'aïeul, lui, refuse de partir d'autant plus que dans son champs un pied de maïs survit. Avec l'aveugle, le chien, ils vont ensemble braver le soleil harassant pour tenir un jour de plus, par la seule motivation de ce pied de maïs. L'aïeul va le chérir avec les moindres moyens disponibles, usant d'imagination pour qu'il grandisse jusqu'à l'automne. Mais la faim, la soif et les rats, féroces tenaillent l'espoir et les maigres forces.

La relation de l'aïeul avec son chien est très bien rendue. Même si le vieil homme n'est pas toujours tendre avec l'aveugle, le chien semble, à défaut de voir, comprendre à la perfection les attentes de son maître qu'il gratifie de caresses et de fidélité.
L'épilogue m'a émue, je ne m'attendais pas à une telle fin. Cette osmose entre l'aïeul et son chien, fruit d'une solitude redoutable m'a cueillie le coeur lourd.
La description onirique mais fluide du soleil est aussi de toute beauté. J'ignorais qu'il était possible de peser le soleil…
Il y a aussi ces passages haletants face à ces milliers de rats prêts à tout pour survivre.

Yan Lianke avec Les jours, les mois, les années signe un petit livre sous forme de conte ou de fable. Il met en exergue l'ambiance particulière de cette histoire nous faisant ressentir la soif , la faim et la solitude avec une force imagée et sensorielle surprenante. En lisant ce livre, on bénit l'eau qui coule à flot, nos garde-manger bien rempli et on prie pour que le dérèglement climatique ne nous plonge pas dans un tel monde hostile et apocalyptique.
Lien : https://coccinelledeslivres...
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À lire la jaquette, je m'attendais à un récit poétique un « hymne à la beauté », mais c'est plutôt l'horreur réaliste que j'ai trouvée dans ce court roman chinois.

Il y a la misère de la sécheresse et de de la faim, la préoccupation terre-à-terre de l'arrosage et de la protection de son plant de maïs, mais surtout l'horreur des rats qui dévorent tout, leur odeur répugnante, leurs excréments qui recouvrent les rues du village, leur corps gonflé qui pourrit dans le puits.

La beauté est quand même présente : l'amour du vieillard pour son pauvre chien aveugle et le dévouement de l'animal pour son maître, la volonté de préserver une plante qui représente l'avenir, le désir et le courage de survivre coûte que coûte.

Un beau texte, mais un texte dur, des mots de souffrances et de mort.
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Les jours, les mois, les années est un conte aux allures intemporelles que nous délivre ici l'écrivain chinois Lianke Yan.
Une terrible sécheresse contraint les habitants d'un petit village de montagne à fuir vers des contrées où la terre est plus verte. Ici, plus rien ne pousse, l'eau se fait de plus en plus rare. Tous sont partis sauf un vieil homme, il a soixante-douze ans, il se sent désormais incapable d'accomplir un tel exode, car il semble qu'il faille partir loin ; tout autour c'est un décor de désolation où le sol est brûlé par un soleil implacable.
Ce vieil homme qui se nomme lui-même l'aïeul déambule sur ce paysage de crêtes avec un chien, qu'il appelle l'aveugle, parce qu'il l'est, ou plutôt parce qu'il l'est devenu à la suite d'un rite religieux que l'on pourrait qualifier de stupide ou de fou, une superstition comme si s'en remettre aux prétendus dieux du ciel et de la terre pouvait empêcher le soleil de brûler un peu moins, à l'eau de revenir, à l'herbe, au blé, au sorgho de pousser de nouveau...
Le soleil a brûlé les yeux du chien et laissé place à deux trous noirs dans ses orbites, deux trous d'où ne cessent de s'écouler des larmes. C'est un chien fidèle, le vieil homme va le protéger et la bête va protéger l'aïeul, ensemble ils déploient une attention l'un à l'autre mais aussi à l'unique pied de maïs qui survit encore. L'aïeul a toujours été un paysan réputé dans son village, on lui accorde un immense respect pour cela, il connaît les gestes qu'il faut. À présent, il s'agit de survivre...
Le contrepoint de ce paysage aride se tient dans l'immanence de ces instants ténus, fragiles, où presque rien ne se dit, dans l'obstination forcenée de l'homme de faire germer ce pied de maïs, l'entretenir, épier chaque jour la couleur des feuilles... Survivre, transmettre.
Le contrepoint de cette terre asséchée se tient dans le coeur de cet homme, dans l'amitié qui le lie à ce chien aveugle. Cela dépasse la pitié... Chacun a besoin de l'autre pour survivre, mais à force, des liens intimes et indéfectibles se tissent entre l'homme et la bête.
Se battre chaque jour pour trouver de l'eau, ce bien commun le plus précieux de notre planète... Comment ne pas voir dans cette fable intemporelle l'esquisse d'un récit pré-apocalyptique sur ce que pourrait nous réserver le monde d'après ?
Tendre la main dans le vide, quêter l'impossible parmi les rayons brûlants de l'astre fou. Sentir sous la brûlure de la peau le silence de la terre et le coeur épris d'un espoir furieux. Tenir debout. C'est comme un chant...
Ce récit qu'on pourrait qualifier de fable est un merveilleux et puissant hymne à la vie, à la fragilité de la vie. À la volonté obstinée d'un seul homme qui ne baisse jamais les bras, qui se bat contre les éléments irrémédiables, qui se bat pour les autres, pour la survie du village et de ses habitants lorsqu'ils reviendront...
Dans ce un huis-clos presque intemporel, c'est un balancement incessant comme celui du vent dans les crêtes brûlées, un va-et-vient entre la beauté de la vie et l'horreur de la fatalité qui peut la broyer. Ici l'homme est un fétu de paille et l'écriture de Lianke Yan sert avec sobriété et une émotion tout en intériorité un texte d'une beauté magistrale.
C'est un livre qui m'a touché au coeur.
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Une histoire étrange qui soude pour l'éternité un vieil homme à la terre.
Quelque part, à une certaine époque, la sécheresse sévit et sur cette terre désolée, abandonnée des hommes, ne restent plus que l'aïeul et son chien aveugle.
Chaque jour est un combat. Car chaque jour sous un soleil de feu, le vieil homme sans relâche tente de sauver son unique plant de maïs : il faut le protéger de la chaleur et l'arroser avec parcimonie mais efficacité. Mais il faut aussi trouver de quoi manger et nourrir le chien.
Chaque jour de nouveaux obstacles s'abattent sur lui et chaque fois il lutte pour trouver la parade. Il en va ainsi de la famine qui guette, du puits qui se tarit, de l'attaque des rats, puis de celle des loups.
Avec abnégation et volonté, l'aïeul lutte et son chien, veilleur inlassable, l'aide dans cette tâche ingrate. Chaque jour est gagnée sur une mort certaine.

« Quand on est vieux on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants. C'est toujours mieux de vivre que d'être mort. »

Même si le vieil homme pèse les rayons du soleil, c'est bien du poids de la vie dont il est question ici. Et la vie c'est ce plant de maïs qui insuffle force, courage et détermination. C'est ce que veut léguer le vieux aux générations futures : des graines pour ensemencer la terre.

Roman lyrique dans lequel la poésie et le sens de la vie puisent leur force pour interroger le lecteur.
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Nous sommes quelque part en Chine,il y sévit une sécheresse intense, la terre n'en peut plus"Un soleil implacable surplombait le chemin et sous les pas des hommes la poussiére palpitait".
Les habitants du village se voient contraints d'entamer une longue marche afin de trouver leur subsistance,loin, ailleurs....
Seul, un vieil homme n'a pas la force, quelque chose le retient....lui et son chien devenu aveugle par la sottise cruelle des humains: une toute jeune vie, un unique pied de maïs apparu dans son champ....
Dés lors, commence une lutte acharnée, ultime contre ce soleil de plomb, un rien qui a besoin de ses soins. " un arbre, un brin d'herbe", à défaut d'autre chose pour lui que la jeunesse n'irrigue plus de la sève du désir....
Ce plant de maïs,vulnérable, dérisoire,symbolise le triomphe de la vie, chaque jour, l'aïeul puise la force de se battre, une force qu'il n'aurait pas trouvée pour lui même.....il défie tous les obstacles jusqu'à "ces rayons brûlants" de la pointe de sa cravache.
Il va le veiller ce plant, le nourrir, l'arroser, (aussi de sa propre sève),le protéger nuit et jour,essayer de le faire grandir jusqu'à ce que les grains fournissent un nouvel épi au retour des villageois....de nouvelles semences....
Ce récit est un chant d'espoir magnifique de dépouillement, de puissance, de force universelle...on le lit comme un conte , dédié au courage, à la ténacité, à l'ingéniosité de l'homme au delà de sa souffrance et de sa peur....
L'écriture est fluide, imagée,poétique, délicate, enchanteresse, des mots comme un coup de pinceau sur une toile , une fine étoffe, brûlante et dorée,un morceau de musique: un hymne à la vie et à la transmission, de la pesée de la lumiére et des rayons du soleil, de la description des silences...
"C'était dans l'immense nudité de la nuit, le paroxysme du silence qui se donnait à entendre".
"Le poids de la lumiére augmentait de jour en jour".
Ce combat envoûtant pour la survie et celle , symbolique de l'épi de maïs est un texte beau, intense,intemporel, lumineux, à la fois doux comme de la soie, riche d'images descriptives et de concordances entre les sons , les couleurs et les odeurs!
Magistral! du grand art !


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Cette nouvelle inspirée de la vie de Lianke Yan, je l'ai pioché dans la belle liste « pépites parmi les récits courts », créée par Fanny1980. La place qu'elle occupe dans cette liste n'est pas usurpée. Bien au contraire, elle fait partie de ces histoires qui vous emportent par la puissance de leur écriture. Chaque page est tout simplement magnifique, parcourue par des courants de poésie et d'émotions. Chacune fait la part belle aux non-dits, aux silences, aux odeurs, aux couleurs.
Mais elle est aussi d'un éclat sombre et féroce, d'une beauté cruelle, sauvage, impitoyable, de celle que connaissent les hommes et les animaux qui ont connu les privations.

*
Une sécheresse dévastatrice s'abat sur le pays et oblige tout un village à un exode massif. Seul, l'ancien du village décide de rester avec pour seul compagnon, un chien aveugle qu'il a recueilli.
Le vieil homme sait que le voyage qu'entreprennent les villageois lui serait fatal.

« J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche je tomberai épuisé. N'importe comment, je vais mourir, je préfère mourir ici. »

Tous les champs sont desséchés. Ne reste qu'un seul plant de maïs qui résiste encore à la sécheresse, mais pour combien de temps encore ? Il décide alors de s'en occuper afin de produire des semences indispensables à la survie du village lorsque les habitants seront de retour. La fragile pousse exige une attention permanente pour la maintenir suffisamment arrosée sous le soleil cuisant et meurtrier.

« L'aïeul pensa que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme de semences lorsqu'ils reviendraient, lorsque la sécheresse aurait cédé la place à la pluie. Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau une immense étendue verte, des champs et des champs de maïs à perte de vue. »

Chaque jour est une lutte, à la fois physique et intérieure. Mais le comportement du vieil homme est admirable. Digne et de généreux, il montre ce qu'il y a de meilleur dans l'être humain.

« L'aveugle, dit-il, regarde, la lune est là, dors, dors et tu n'auras plus faim, les rêves peuvent tenir lieu de repas. »

*
Tout le talent de conteur de Lianke Yan se révèle par une narration centrée uniquement sur le vieil homme et son chien. le fait de ne pas les nommer, ni d'attribuer un cadre spatio-temporel crée un sentiment d'intemporalité très intéressant.

*
Ce huis-clos m'a rappelé le superbe roman de Paul Lynch « Au-delà de la mer ».
Alors que le récit de l'auteur irlandais a pour cadre l'immensité vide de l'océan, celui de Lianke Yan choisit un décor montagneux qui n'est plus que cendre, ravagé par la puissance dévastatrice du soleil.
Soumis aux caprices de la nature, l'homme est face à lui-même. Un profond sentiment de solitude et de vide étreint le lecteur tout au long de cette lecture.

Comment supporter l'isolement, le silence, la faim et la soif pendant ces longs mois de canicule ?
Malgré le courage, la sagesse et l'ingéniosité de l'aîné, chaque journée qui passe ne fait qu'accroître les difficultés pour survivre et sauver la jeune plante.
Le lecteur les suit au jour le jour, et tout comme eux, on espère la venue de cette pluie libératrice.

Par ce récit, l'auteur aborde divers thèmes tels que la liberté, la fragilité de la vie, la notion de sacrifice, les sentiments de solitude, de désespoir et d'espoir.

« L'aïeul dit, ça ne vaut pas la peine de pleurer. Il dit, une fois mort, je me réincarnerai en animal et je serai toi, et toi tu te réincarneras en homme et tu seras mon enfant, alors nous dépendrons l'un de l'autre comme avant. »

*
L'écriture de Lianke Yan est sobre, douce, vibrante d'émotions, emplie de silences, de poésie et de grâce.
J'ai particulièrement été touchée par ce vieil homme brave, altruiste et son chien d'un dévouement et d'une fidélité exemplaires. La relation qui les unit est magnifique, tout simplement.

« Il caressait son chien, le long de la colonne vertébrale jusqu'à la queue, puis recommençait depuis la tête. La bête ne pleurait plus. L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là, ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux.
Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord ? Avec un compagnon, la vie est plus savoureuse.
Le chien lui lécha copieusement la main.
Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort.
Et le chien se mit à lui lécher le poignet, à grands coups de langue, comme si la distance des doigts au poignet s'était extraordinairement allongée. »

*
La fin de l'histoire est bouleversante et d'une beauté saisissante.
Je ne suis pas étonnée que Lianke Yan soit considéré comme l'un des meilleurs écrivains chinois contemporains. Et je pense que vous l'aurez compris, ce livre est pour moi un vrai coup de coeur.
« Les jours, les mois, les années » prend la forme d'une fable chinoise, mais cette histoire est bien plus qu'un simple récit, elle est riche de sens au-delà des mots. D'une puissance rare, d'une profondeur remarquable, ce vieil homme et son chien m'ont touchée en plein coeur. Je les quitte avec regret.

Un gros merci à HordeduContrevent qui a proposé cette nouvelle, tu sais dénicher les pépites.
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