Cette nouvelle inspirée de la vie de
Lianke Yan, je l'ai pioché dans la belle liste « pépites parmi les récits courts », créée par Fanny1980. La place qu'elle occupe dans cette liste n'est pas usurpée. Bien au contraire, elle fait partie de ces histoires qui vous emportent par la puissance de leur écriture. Chaque page est tout simplement magnifique, parcourue par des courants de poésie et d'émotions. Chacune fait la part belle aux non-dits, aux silences, aux odeurs, aux couleurs.
Mais elle est aussi d'un éclat sombre et féroce, d'une beauté cruelle, sauvage, impitoyable, de celle que connaissent les hommes et les animaux qui ont connu les privations.
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Une sécheresse dévastatrice s'abat sur le pays et oblige tout un village à un exode massif. Seul, l'ancien du village décide de rester avec pour seul compagnon, un chien aveugle qu'il a recueilli.
Le vieil homme sait que le voyage qu'entreprennent les villageois lui serait fatal.
« J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche je tomberai épuisé. N'importe comment, je vais mourir, je préfère mourir ici. »
Tous les champs sont desséchés. Ne reste qu'un seul plant de maïs qui résiste encore à la sécheresse, mais pour combien de temps encore ? Il décide alors de s'en occuper afin de produire des semences indispensables à la survie du village lorsque les habitants seront de retour. La fragile pousse exige une attention permanente pour la maintenir suffisamment arrosée sous le soleil cuisant et meurtrier.
« L'aïeul pensa que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme de semences lorsqu'ils reviendraient, lorsque la sécheresse aurait cédé la place à la pluie. Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau une immense étendue verte, des champs et des champs de maïs à perte de vue. »
Chaque jour est une lutte, à la fois physique et intérieure. Mais le comportement du vieil homme est admirable. Digne et de généreux, il montre ce qu'il y a de meilleur dans l'être humain.
« L'aveugle, dit-il, regarde, la lune est là, dors, dors et tu n'auras plus faim, les rêves peuvent tenir lieu de repas. »
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Tout le talent de conteur de
Lianke Yan se révèle par une narration centrée uniquement sur le vieil homme et son chien. le fait de ne pas les nommer, ni d'attribuer un cadre spatio-temporel crée un sentiment d'intemporalité très intéressant.
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Ce huis-clos m'a rappelé le superbe roman de
Paul Lynch «
Au-delà de la mer ».
Alors que le récit de l'auteur irlandais a pour cadre l'immensité vide de l'océan, celui de
Lianke Yan choisit un décor montagneux qui n'est plus que cendre, ravagé par la puissance dévastatrice du soleil.
Soumis aux caprices de la nature, l'homme est face à lui-même. Un profond sentiment de solitude et de vide étreint le lecteur tout au long de cette lecture.
Comment supporter l'isolement, le silence, la faim et la soif pendant ces longs mois de canicule ?
Malgré le courage, la sagesse et l'ingéniosité de l'aîné, chaque journée qui passe ne fait qu'accroître les difficultés pour survivre et sauver la jeune plante.
Le lecteur les suit au jour le jour, et tout comme eux, on espère la venue de cette pluie libératrice.
Par ce récit, l'auteur aborde divers thèmes tels que la liberté, la fragilité de la vie, la notion de sacrifice, les sentiments de solitude, de désespoir et d'espoir.
« L'aïeul dit, ça ne vaut pas la peine de pleurer. Il dit, une fois mort, je me réincarnerai en animal et je serai toi, et toi tu te réincarneras en homme et tu seras mon enfant, alors nous dépendrons l'un de l'autre comme avant. »
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L'écriture de
Lianke Yan est sobre, douce, vibrante d'émotions, emplie de silences, de poésie et de
grâce.
J'ai particulièrement été touchée par ce vieil homme brave, altruiste et son chien d'un dévouement et d'une fidélité exemplaires. La relation qui les unit est magnifique, tout simplement.
« Il caressait son chien, le long de la colonne vertébrale jusqu'à la queue, puis recommençait depuis la tête. La bête ne pleurait plus. L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là, ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux.
Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord ? Avec un compagnon, la vie est plus savoureuse.
Le chien lui lécha copieusement la main.
Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort.
Et le chien se mit à lui lécher le poignet, à grands coups de langue, comme si la distance des doigts au poignet s'était extraordinairement allongée. »
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La fin de l'histoire est bouleversante et d'une beauté saisissante.
Je ne suis pas étonnée que
Lianke Yan soit considéré comme l'un des meilleurs écrivains chinois contemporains. Et je pense que vous l'aurez compris, ce livre est pour moi un vrai coup de coeur.
«
Les jours, les mois, les années » prend la forme d'une fable chinoise, mais cette histoire est bien plus qu'un simple récit, elle est riche de sens au-delà des mots. D'une puissance rare, d'une profondeur remarquable, ce vieil homme et son chien m'ont touchée en plein coeur. Je les quitte avec regret.
Un gros merci à HordeduContrevent qui a proposé cette nouvelle, tu sais dénicher les pépites.