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Critique de Osmanthe


Voici deux nouvelles d'Akira Yoshimura, un des grands noms de la littérature japonaise moderne. Je rejoins le point de vue exprimé dans d'autres excellentes critiques ici même : la seconde nouvelle, le sourire des pierres, m'a plus emballé que celle qui donne son titre au recueil. En effet, la jeune fille suppliciée sur une étagère est vraiment "trop" à mon goût : trop étrange, trop invraisemblable, trop dérangeante. Une jeune fille de 16 ans est décédée subitement, et ses parents ont vendu son corps à la science. Nous allons assister sous ses "yeux" à son dépeçage progressif par une équipe de professionnels. Narratrice (et spectatrice ?!) de ce spectacle chirurgical, il nous faut pour avaler la pilule être absolument convaincu de la survie de l'âme après la mort (ce qui n'est pas mon cas), sinon bien sûr, ça ne prend pas. le récit est très clinique, si j'osais je dirais qu'il manque un peu de corps, même si ça dissèque à tout va. Il a toutefois le mérite de nous interpeller sur le métier de ces hommes, ingrat, et qui en même temps passionne quelques-uns, au point qu'un d'entre eux, un vieil homme expérimenté dans le traitement de la carcasse humaine, va piquer une crise de gamin à qui on a subtilisé son jouet lorsqu'il découvre que l'opération est conduite par deux plus jeunes collègues. Au passage, ces deux-là, penchés sur le corps de la morte, ne se privent pas de se régaler un poil graveleusement de ses proportions parfaites. Et que dire de ses parents qui refusent de récupérer les cendres de leur fille au terme de l'incinération, une fois le corps exploité dans toutes ses composantes, sous prétexte qu'ils n'auraient pas été payés assez cher pour le prêt du corps ?! Une nouvelle qui rappelle par son environnement et son sujet une autre nouvelle de l'auteur, "Un spécimen transparent", et également par leur étrangeté et la manie du détail certains textes de Yôko Ogawa.

Dans "Le sourire des pierres", nous suivons le jeune Eichi, qui va un beau jour retrouver son ami Sone, avec qui il jouait quelques années auparavant dans le cimetière voisin de chez lui. Sone est un étrange jeune homme, dont le père s'est suicidé avec sa maîtresse. Il propose à Eichi d'aller voler des pierres dans une partie non exploitée du cimetière. Pas n'importe quelles pierres, surtout des jizo sculptés (statuettes qui veillent au salut des enfants morts avant la naissance ou en bas âge). Sone veut en faire commerce, mais n'ayant guère de domicile fixe, s'invite chez Eichi et sa soeur Sachiko pour y résider et entreposer ses trouvailles. Eichi se méfie de Sone, qui n'apparaît pas spécialement sympathique, et qui a maille à partir régulièrement avec la police. Il semble qu'il dérange certaines femmes, et pourraient même les inciter à réaliser leurs pulsions suicidaires...Sachiko, soeur aînée de Eichi, a été répudiée par sa belle-famille pour cause de stérilité. Alors elle fabrique de ses mains des vêtements pour bébés. Elle s'est promis d'en faire cent. Elle a l'air attirée par Sone, ce qui ne manque par d'inquiéter Eichi, inquiétude accrue lorsque Sone offre à Sachiko un des Jizo...Et lorsque Sachiko, dont le comportement a changé, à la fois mélancolique et sereine, part en voyage alors qu'elle n'a remis que quatre-vingt quatre vêtements, le jour même où Sone disparaît, Eichi s'affole...Mais peut-être pour rien, après tout, d'autant que sa soeur est quelque part une entrave à sa propre tranquillité...
Cette nouvelle m'a convaincu, l'auteur s'y entendant pour créer en quelques pages une histoire cohérente, une atmosphère mystérieuse, pesante, une montée d'inquiétude, de tension, et une véritable épaisseur psychologique à ses personnages dont aucun n'est serein et qui sont aux prises avec un lourd passé non résolu, qui menace de se décompenser à tout moment. Et puis il y a comme un mystère sur le pouvoir des pierres, qui influence la psychologie de ces personnages...

L'écriture est comme toujours chez Yoshimura de haute qualité et précise. On pourrait là encore retrouver des réminiscences de Voyage vers les étoiles, nouvelle accompagnant Un spécimen transparent dans le recueil déjà mentionné.

Autant dire que les deux recueils se font écho, et révèlent un grand auteur de nouvelles, doté d'un style précis qui sait ménager tension et suspense. Son oeuvre est aussi hantée par un pessimisme évident, à travers les sujets morbides tels que la mort, le suicide, et par une forme de mysticisme qui se révèle dans les questions de l'au-delà et du mystère de la nature.
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