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Critique de Levant


"Un pied dans l'érudition, l'autre dans la magie, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique qui consiste à se transporter en pensée à l'intérieur de quelqu'un." C'est ainsi que dans ses notes Marguerite Yourcenar qualifie l'exercice qui l'a conduite à mettre sur pied cette magistrale œuvre philosophico-historique relatant la vie de l'empereur Hadrien. Dès les premières pages on perçoit l'incroyable densité d'une telle œuvre. Elle a consacré Marguerite Yourcenar dans son statut d'écrivain de renommée mondiale. A la seule lecture de cet ouvrage, on ne peut que convenir de la somme de savoir mise en œuvre dans chaque page, du perfectionnisme appliqué à chaque phrase, pour parvenir à cette métamorphose de l'auteure en son personnage.

L'exercice qui consiste à se glisser dans la peau d'un illustre héros de l'antiquité romaine pour lui faire évoquer ses mémoires est une prouesse aux multiples aspects. Tout d'abord parce que l'éloignement dans les tréfonds de l'histoire est comme chacun sait l'assurance de la raréfaction de la ressource documentaire fiable. Il suffit d'examiner l'ampleur des sources bibliographiques mises en œuvre, répertoriées en fin d'ouvrage, pour se rendre compte de l'exploit de pareille entreprise. Sans parler du socle d'érudition propre à l'auteure elle-même, indispensable pour aborder plus largement le contexte.

S'agissant par ailleurs d'une transposition de forme de pensée, comment imaginer et ne pas trahir, ou le moins possible, celle d'une époque aussi lointaine dans l'histoire, lorsqu'on l'évoque avec le recul et l'acquis culturel cumulé de plusieurs siècles ? Rappelons nous aussi qu'une femme se met à la place d'un homme avec tout ce que cela comporte de compréhension du rapport à l'autre sexe. Sans oublier, s'agissant d'un héros qui fut homme politique du plus haut rang, la notion de prédilection au pouvoir que comporte un tel statut, pour une personne qui elle ne joue jamais que du pouvoir de sa plume.

Il est question enfin dans cette "magie sympathique" de mettre en œuvre une subjectivité à plusieurs visages. Quel degré d'honnêteté placer en effet dans les propos d'un personnage politique qui évoque sa propre histoire ? Quel degré de lucidité et de sincérité attribuer à un homme qui, se sachant condamné à brève échéance, voudra convaincre le dauphin qu'il s'est choisi de poursuivre son œuvre ? Quelle sensibilité lui coller à la peau quand les penchants souffrent des contraintes du statut, de contradictions et atermoiements personnels. Il y a là un subtil dosage que seule une formidable culture historique, comportant la domination des langues anciennes, peut autoriser.

C'est le premier ouvrage de Marguerite Yourcenar que je lis. Je l'avoue. Je reste médusé par l'érudition de cette grande dame de la littérature française et m'incline avec la plus grande humilité devant cette montagne de connaissances.
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