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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce sera une masse critique. Ma particuliere masse critique. Me promenant avec un ami, nous nous arretons devant une librairie. Moi je suis un curieux, lui un impulsif. Moi je regarde les bouquins, lui a besoin de les toucher. Une fois touches ils se collent a lui, et il ressort avec plus qu'il n'en peut porter. Je le deleste d'un, pour l'aider. – Je te l'emprunte, je t'en ferai un compte-rendu. Il me regarde drolement, ne sachant si c'est une blague ou si je suis devenu fou. Il n'est pas au courant, pour Babelio. Nos petites cachotteries d'amis. Il me cache ses amours, je lui cache mes addictions.

Un bouquin pris au hasard? Pas vraiment. Un auteur inconnu. La fascination de la decouverte.

Rumjana Zacharieva. Une bulgare exilee en Allemagne. Je ne suis pas sur que dans son cas exil soit le mot juste. Une bulgare vivant en Allemagne, ecrivant en allemand ses souvenirs d'enfance en Bulgarie. Elle a quitte la Bulgarie assez jeune, voulant surement fuir le communisme qui y regnait, mais ses souvenirs ne sont pas amers, loin de la. Son texte est impregne de tendresse, regorgeant d'un humour bon enfant, jamais cynique. Et on sent que ce sont ses vrais souvenirs, bien qu'evidemment romances.

C'est une fillette qui vit l'ete de ses douze ans avec ses grands-parents maternels dans un village, ses parents, enseignants dans une grande ville, venant la voir deux fois par mois. Elle les attend impatiemment a chaque fois et c'est a chaque fois un bonheur de rencontre. Sa mere est la plus belle et la plus elegante des femmes et son pere est le plus doue des hommes, un idealiste qui s'est forge tout seul, et surtout un merveilleux conteur. Elle reve de passer vivre avec eux en ville quand ils auront un appartement plus grand. Elle est pourtant heureuse avec sa grand-mere, Baba Vitsa, appelee simplement Maminka, qu'elle venere, et avec son grand-pere, Diado Ivan, qu'elle aime bien qu'elle ait un peu peur de lui, surtout quand il revient saoul, ce qui arrive pratiquement un jour sur deux.

Elle essaye de comprendre ce qu'elle voit, ce qu'elle entend, ce qu'on ne lui explique pas, ce qu'on lui cache. le haut-parleur de la place du village evogue la guerre froide et elle se voit en heros de cette guerre, comme le gosse partisan Mitko Palaouzov ou la jeune Zoia Kosmodemianskaia torturee par les nazis, dont on lui gave les oreilles et l'esprit a l'ecole. Elle reve de “mourir pour la liberte". Et qu'est ce qui differencie un communiste d'un capitaliste? Elle finira par noter dans un cahier les definitions apprises pendant l'ete, les definitions des mots qu'elle a fini par comprendre: “ATHEE : quelqu'un qui rale contre Dieu mais boit de l'eau-de-vie tous les dimanches avec le pope, comme Diado Ivan, mon grand-pere maternel. CAPITALISTE : ivrogne qui bat sa femme et n'a jamais un sou en poche, voir Diado Ivan. CHRETIEN : quelqu'un qui commence par frapper et ensuite seulement essuie le crachat sur sa figure. COMMUNISTE : quelqu'un qui croit au yoghourt tout en sachant que le lait etait deja tourne. HOMME SOCIALISTE : exproprie qui fait des heures supplementaires par necessite, attend les Americains et, d'ici là, s'approprie le bien commun, voir de nouveau mon diado Ivan. SAINTE : une communiste sans carte du Parti, voir Maminka.”

Tout ce qui a rapport au sexe l'intrigue evidemment beaucoup, elle lit en cachette un livre de vulgarisation, elle jalouse une amie dont les seins commencent a pointer, et quand elle recoit ses premieres regles elle court montrer sa superiorite a son amie: “Maintenant que je suis devenue une vraie femme, elle peut toujours frimer, avec son malheureux petit poil au-dessus de sa fente : « Moi, j'ai deja des vraies regles ! » Quand je lui montre ma serviette des le jour de mon arrivee, elle se pame presque d'envie. Elle en reste sans voix ! Elle ne peut que tirailler sa jupette plissee et deglutir avec peine, sans parvenir à sortir un mot. Elle est au supplice, je le vois bien”.

Et il y a ces sept kilos de camomille qu'elle doit cueillir pendant l'ete pour avoir droit a ses livres de classe a la rentree. Elle n'est pas tres degourdie pour le travail, ce sont ses reves qui la travaillent, elle. Reussira-t-elle a remplir sa corvee?

Zacharieva arrive, en de courts chapitres, a representer la vie dans la Bulgarie communiste des annees 50-60 du dernier siecle, a la campagne et en general. Et elle reussit a camper des personnages plus vrais que vraisemblables, dans leurs merites et leurs travers, dans leurs joies, leurs peines, leurs reussites et leurs echecs, vus par une petite fille mais aussi apprecies et juges par elle, quand elle ecrit ce livre, melangeant le souvenir et son compte-rendu. “La coquille du temps se brise. Malgre cela, je parviens quelquefois a ne pas glisser hors de l'oeuf du passe mais a retourner en son coeur. Alors je dis : Maintenant ! Je vais a l'essentiel, je me depouille du present qui est absorbe dans la masse molle du passe, je ne sais plus ou est la limite entre moi et mon enfance. La plupart des gens ont cesse de traverser sans effort les frontieres entre aujourd'hui et autrefois, aussi exigent-ils une coherence dans la perspective narrative : le narrateur dans l'« aujourd'hui », l'enfant dans l'« autrefois » ; mais le langage ne sera jamais a la mesure du temps. Et quand la coquille du temps se brise, moi, la femme d'aujourd'hui, je penetre a l'interieur, et quelques secondes apres je me glisserai a nouveau dehors et je serai le cimetiere d'autrefois, que longeront les enfants apres la decouverte de la maison abandonnee, je serai mon actuelle table de travail, je serai ma mere, je serai Maminka et le village, le parfum de camomille et tous ces sept kilos d'ete, la guerre froide et l'envie de mourir pour la liberte, Raina la reine qui vecut au XIXe siecle, et Zoia Kosmodemianskaia…”

Zacharieva m'a rendu moi aussi enfant, le temps d'une lecture. J'ai savoure les jours d'ete de l'heroine, ses reves et ses doutes, les crepes de sa Maminka, dont les jupes et le foulard sur la tete m'ont rappele la mienne, j'ai ete jaloux parce qu'elle a eu deux diados, deux grands-peres, moi qui n'en ai connu aucun, deux grands-peres aventuriers: “Je m'avise aussi que Diado Kosta a beaucoup en commun avec mon autre grand-pere. Tous deux sont partis à l'etranger pour y chercher de l'or ; tous deux ont prefere rentrer, en en rapportant autre chose que de l'or : Diado Kosta des livres americains, Diado Ivan des poux allemands. Je complete en pensee la notion de « patriote » pendant ma descente du bus : un patriote, c'est un idiot plein de fierte qui, ou qu'il aille pour s'enrichir, en revient pauvre par amour pour son pays, et ne rapporte au mieux que des livres ou des poux”.

Et j'ai aussi ete un peu jaloux de l'ecriture bucolique, solaire, de l'ecrivaine adulte. Ce livre m'a ete un feel-good, dans le meilleur sens de l'expression. Un livre qui amene en ses pages l'ete et le beau temps.
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