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Critique de Altervorace


En janvier de cette année, je te confiais mon intérêt pour la psychologie, dont la criminologie et la victimologie, à l'occasion de la critique d'un ouvrage de Jean-Luc Ployé à propos de son expérience d'expert auprès des tribunaux français. Ce témoignage m'avait permis de mieux comprendre ce rôle mais n'apportait que peu d'éléments concernant la psychologie des criminels qu'il avait eu l'occasion d'expertiser. Et j'ai eu envie d'en savoir plus à ce sujet… C'est en cherchant des bouquins sur la question que je suis tombée sur celui du docteur Zagury, spécialiste en psychopathologie, en psychiatrie légale et expert auprès de la cour d'appel de Paris. Bref, un médecin qui pourrait peut-être offrir quelques réponses à mes interrogations… Comme je ne voulais pas aller tout de suite vers des sujets plus particuliers, comme le cas des tueurs en série, je suis logiquement allée vers son essai, La Barbarie des hommes ordinaires.

C'est avec quelques réserves que je me plongeais d'abord dans La Barbarie des hommes ordinaires… Non pas que je n'étais pas enthousiaste à l'idée de lire l'ouvrage en question mais simplement parce que les essais ne sont pas toujours très simples à lire. Combien de fois un bouquin de philosophie, de psychologie ou d'histoire est parvenu à m'ennuyer ou à paraître aride malgré mon appétit à découvrir et à comprendre le sujet en question ? Je me préparais donc à devoir faire preuve de volonté pour accéder au savoir que je convoitais… Qu'en est-il au terme de ma lecture ?

Il est difficile de parler d'un ouvrage que l'on a adoré. Personnellement, je trouve même plus facile de critiquer un livre que j'ai détesté, l'objectif étant alors à porter de ma plume : donner des arguments, illustrés d'exemple, de ce qui m'a déplu. Comment, à contrario, parler de ce que l'on a aimé ? Comment donner, te donner envie, à toi ami-lecteur, de plonger à ton tour ? Oui, j'ai beaucoup plus de mal à argumenter le plaisir que la déception, l'ivresse d'une lecture que l'ennui, l'agacement ou l'indignation face à un texte médiocre…

Laisse-moi d'abord t'expliquer en quoi consiste à peu près l'essai de monsieur Zagury… Il s'agit ici de tenter d'expliquer les processus psychiques qui conduisent des individus ordinaires à commettre un crime atroce. Et ceci sans qu'une quelconque pathologie psychiatrique puisse nous donner un alibi pour ne pas nous plonger dans les méandres des processus en question. le psychiatre nous permet, en fait, d'aller à la rencontre du pire de l'humanité. Il serait tellement plus confortable de voir ces criminels, ces êtres humains, comme des monstres. Donc forcément loin de ce que nous sommes. Daniel Zagury le confirme dès la fin de la première partie, consacrée aux « crimes passionnels » :

Comme tous ceux que nous évoquons dans ce livre, ces hommes et ces quelques femmes ont commis des actes souvent atroces. Dans l'après-coup, nous pouvons essayer de décrire les failles de leur personnalité et les processus psychiques qui ont conduit au drame. Mais ce qui est impossible, c'est d'en faire des malades ou des monstres. (page 31)

Afin de mettre à mal cette idée, ce fantasme de monstruosité ou de maladie, il fait preuve d'une clarté magistrale mais jamais au détriment de ce qu'il veut que nous comprenions. Lors de l'introduction, il aborde d'ailleurs cette question de rendre accessible :

Comme expert, je crois à la pédagogie de la complexité. Je déteste être suspecté de jargonner. Certains me reprocheront peut-être d'être simpliste, comme si vouloir s'adresser à un large public éclairé était blâmable, mais c'est mon choix.(page 8)

Revenons un instant à cette question de la monstruosité… Ce que La Barbarie des hommes ordinaires m'a donné à comprendre et que, vraiment, je n'avais pas envisagé, c'est que, le plus souvent, les criminels eux-même ne se voient pas ainsi. Qu'ils ne commettent pas le mal en le définissant comme tel :

En dehors de quelques grands pervers ou délirants, le mal ne se pense pas en tant que mal.(page 5)

le psychiatre nous montre donc les processus psychiques mis en oeuvre pour que le passage à l'acte soit possible. Et il le fait pour une grande variété de crimes : les « crimes passionnels », les néonaticides, les crimes violents pour des « broutilles », l'emprise mentale, le terrorisme, les génocides… Enfin il nous parle longuement de la « banalité du mal » psychique, proposé d'abord par Hannah Arendt. Ce que j'ai apprécié c'est qu'il parvient, dans cette partie (et prépare ce phénomène avec tout le reste de l'ouvrage) à réconcilier deux écoles qui s'opposent : celle qui pense l'être humain naturellement mauvais et, à l'opposée, celle qui prétend la bonté de l'humanité. Or monsieur Zagury fait une proposition bien plus nuancée et, à mon sens, sans doute bien plus près de la vérité. Que le mal peut naître d'individus tout à fait ordinaires, au terme de processus psychiques complexes mais que cela ne signifie pas pour autant que le mal lui-même est banal. Et pour mieux exprimer ce concept, je vais laisser la parole à l'auteur, qui parvient admirablement bien à résumer le concept :

Je répète une dernière fois, ne confondons pas banalité et généralité du mal. (page 161)

En me plongeant dans La Barbarie des hommes ordinaires, je pensais apprendre des choses sur la criminologie. Ce fut bien entendu le cas mais pas seulement… En nous donnant à comprendre en partie les processus psychiques qui rendent possible l'impensable, Daniel Zagury aborde beaucoup plus que les crimes qui bouleversent régulièrement l'actualité, il nous parle de notre humanité, de ses limites, de sa complexité, des nuances qui la caractérisent. Finalement, c'est ce qui est passionnant tout autant que terrifiant dans cet ouvrage : qu'en nous parlant de meurtriers, de terroristes, de génocidaires, il parle un peu de nous tous.
Lien : http://altervorace.canalblog..
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