J’ai rencontré Chicha au service addicto de l’hôpital René-Muret, à Aulnay-Soub’. En vrai, c’est Zyed que j’ai rencontré ce jour-là. Quelque chose m’a tout de suite touché chez ce gars, je ne sais pas, sa tronche de mec qui a dégusté, de type qui s’entête à vivre ou, plutôt, à survivre. De manière générale, j’aime bien les acharnés, qui ne respirent pas le bonheur mais persévèrent, crachent sur la faucheuse, trinquent mais rêvent de dévier leur trajectoire de vie, d’enculer le déterminisme, de sortir de l’impasse, d’arrêter de se détruire, mais ne savent pas comment faire. Les espérants, les résilients, les survivors.
Zyed s’écarte du sentier, se noie dans les abysses du bois de Boulogne. Il s’arrête au pied de son arbre, enfin celui qu’il a décrété sien. Il dépose son sac de sport à terre et, vite, il se désape. Dans son kes, il récupère sa jupe jaune flashy et son débardeur rose bonbec. Il enfile ses fringues et fixe sa perruque brune en carré plongeant sur son crâne rasé. Il chope son sac à main, range son flash, ses clopes, son vieux téléphone et sa maille dedans. Son sac de sport restera toute la nuit au pied de son arbre – personne ne vient jamais là. Zyed troque ses baskets contre des escarpins et il se maquille à l’aveugle, dans l’obscurité du bois. Pas la peine de s’emmerder à faire dans le détail, ses clients le verront mal dans les ténèbres, et puis ils cherchent rarement la grâce et la subtilité auprès de lui. Il s’étale un rouge brillant sur les lèvres, se paillette un peu la ganache, foire le mascara. Et Zyed se transforme en Chicha. Et Chicha regagne le trottoir.
Chicha n’est pas comme certaines femmes de l’allée de la Reine-Marguerite, belles et hormonées, parfois opérées et dont les taros pour une passe peuvent grimper à quarante dolls. Non, Chicha casse les prix en fonction du micheton, accepte beaucoup de choses, à peu près tout. Ses yenclis veulent du sale, du hardcore, du ce-qu’ils-font-pas-chez-eux.