Les sentiments intimes que je ne voulais pas éprouver, je les lui prêtais.
Une fois les souvenirs déroulés, l'oubli pouvait commencer.
J'explique : Pacifia est une petite ville abrutie avec un seul vrai lycée, où tout le monde connaît les histoires de tout le monde et où les rumeurs ne s'arrêtent jamais à moins qu'un autre ado soit assez taré pour faire un truc qui fera une meilleure histoire à colporter. Mais mon histoire à moi avait l'honneur de tenir la vedette depuis plus de deux ans. Il faut dire qu'un mec de terminale surpris le pantalon baissé sur une fille de quatrième, par le père de la fille (…) était assez difficile à concurrencer. L'histoire s'était répandue dans les couloirs, les vestiaires, les fêtes et le fond des salles de classe dès que Tommy avait débarqué au lycée le lendemain matin. Sur le coup, il s'était empressé de fournir tous les détails à ses copains, même s'il savait que mon frère Darren lui mettrait une raclée. (Ce qui fut le cas.) Le temps que j'intègre Terra Nova pour ma troisième, le lycée entier pensait avoir appris tout ce qu'il y avait à savoir sur Deanna Lambert. Chaque fois que quelqu'un voyait ma tête, je savais à quoi il pensait. Je le savais parce que, chaque fois que je me regardais dans la glace, j'y pensais moi aussi. (p.15-16)
Moi, Deanna Lambert, je n'appartiens à personne, et personne ne m'appartient.
Je ne sais pas quoi faire.
Je me mettais à penser et si tout ça et je pouvais rester des heures sans bouger, à ressasser encore et encore jusqu’à sentir montrer les larmes, et là, je m’obligeais à arrêter.
Je déteste pleurer. Une des dernière fois que j’ai pleuré, ce fut quand Tommy et moi, on coucha ensemble pour la première fois, des mois avant le soir où mon père nous tomba dessus. Ça faisait si mal et Tommy était défoncé et ne se rendait même pas compte que j’essayais de le ralentir et il y avait à la radio cette pub débile pour une pilule de régime. Je sentais les larmes couler sur le côté de ma figure et goutter un peu dans mes oreilles. Le pire fut quand Tommy s’aperçut que je pleurais et se fit tout gentil : « Hé, Didi, pleure pas, ce sera mieux plus tard, tu es si jolie… Allez, Didi, allez. » C’était comme s’il avait prise sur moi, comme s’il avait vu au fond de moi alors qu’il n’y avait pas sa place.
et si tout le monde avait droit à une nouvelle chance après avoir commis une grave erreur ?
Plus tard, quand il eut raconté à tout le monde que mon père nous avait découverts, Tommy ne me parut plus aussi sympa ni solide ni nonchalant, il n'avait plus l'air que d'un paumé dégoûtant et je compris pourquoi il n'intéressait pas les filles du lycée. Même Melony, dont le porte-clés proclamait « Vierge à 99% » me laissa tomber quand ça se sut. Il me fallut un moment pour comprendre pourquoi Melony se préoccupait de réputation, jusqu'à ce que j'entende l'histoire que Tommy avait racontée à tout le monde. Il en avait fait une blague. Il m'avait transformée, moi, en blague. (p.112)
C'est à la fois triste et drôle à quel point les souvenirs de deux personnes à propos de la même chose peuvent être différents. C'était ça le problème en fait, que cette chose se soit produite entre nous, et que pour Tommy ce soit une chose et pour moi une autre, et une fois que mon père s'en est mêlé c'était devenu encore autre chose. Trois personnes sur les lieux du crime, chacune avec une histoire différente. Ajoutez à cela l'ensemble des jurés, à savoir le lycée Terra Nova, et qui sut jamais ce qu'il s'était réellement passé? (p.144)
- Tu n'es pas ce que dit Tommy. Ni ce que disent Bruce et Tucker. Ni ce que dis ton père. (p.160-161)