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Critique de motspourmots


C'est le 19 août, tu as coché la date dans ton agenda, une pluie de nouveautés s'abat ce jour-là sur les tables des librairies mais tu n'en as qu'une en tête, le roman d'Alice Zeniter. Parce que tu la lis depuis longtemps, tu apprécies son intelligence, la clarté de son propos. Même si Sombre dimanche était teinté d'un voile de nostalgie proche de la tristesse, que pour toi Juste avant l'Oubli, dont tu avais admiré la haute densité, ne laissait pas passer l'émotion. Depuis il y a eu L'Art de perdre. Grand roman, qui, à ton avis deviendra un classique d'ici quelques années. Tu l'as qualifié de magistral et, trois ans après tu ne regrettes pas ce mot. Alors tu te hâtes vers la librairie, tu remets à plus tard l'exploration des rayons, de toute façon tu as encore de quoi faire, tes piles sont à marée haute, tu attrapes direct l'objet tant convoité, en fait tu achètes encore une ou deux choses mais c'est un détail. Sur le chemin, tu repenses aux échos que tu as glanés ici et là, paroles de libraires ou de journalistes. le roman est, parait-il, très différent du précédent (tant mieux !) et tout aussi brillant (miam !). Tu le soupèses, tu regardes le nombre de pages, presque 400, ça va, tu anticipes une belle immersion. Et bien sûr, dès que tu arrives chez toi, tu t'installes confortablement, boisson et trucs à grignoter à portée de mains, smartphone relégué dans la pièce d'à-côté. Et c'est parti.

Tu fais donc la connaissance d'Antoine et de L. dont tu as entendu un peu parler, via les pitch qui inondent déjà les médias et les réseaux. Ce sont des trentenaires, ancrés dans notre époque. Antoine est assistant parlementaire d'un député socialiste dont les illusions se sont peu à peu dissoutes dans les débâcles électorales et les compromissions. Il rêve d'écrire un roman, un grand roman bien sûr, autour de la Guerre d'Espagne et des figures de Robert Capa et Gerda Taro ; roman dont il n'a que le plan et une vague idée. En fait, il se rêve en écrivain mais pêche grandement sur la motivation et la réalisation. L. est une hackeuse, plus habituée à la vie "du dedans" comme elle la décrit elle-même pour la distinguer de celle du dehors. Son compagnon vient d'être arrêté et elle tremble des liens qui pourraient faire remonter jusqu'à elle. Antoine et L. vont se rencontrer par l'intermédiaire d'une amie commune, militante associative très active. Les deux représentent deux formes d'engagement différents, l'un visible, au sein des institutions et l'autre sous-terrain et illégal. Pourtant, chacun interroge sa réelle efficacité et sa raison d'être.

Tu voudrais vraiment aimer ce roman, mais ton esprit a du mal à rester captivé, tu te surprends à rêvasser en plein milieu d'une page, ce n'est jamais bon signe. Ton cerveau rationnel fait un peu le job, tu notes quelques passages hyper bien sentis, l'évocation des décors urbains ou de ces zones commerciales qui entourent désormais les villes, tu te dis que ce roman est terriblement bien ancré dans la réalité du terrain, sur fond de gilets jaunes, de précarité et de désillusion. Tu reconnais Antoine, issu de la classe moyenne, décidé à quitter la Bretagne pour un avenir parisien qu'il entrevoyait plus brillant mais qui se résume à quelques signes extérieurs de "réussite". Tu es beaucoup plus curieuse de L. qui s'est glissée dans le codage informatique comme dans un dernier refuge, et s'attache viscéralement à son anonymat au point de ne garder que l'initiale de son prénom pour ne donner aucune indication sur ses origines ou son profil socio-culturel. L. qui navigue dans un monde parallèle, a connu les débuts et la fin des Anonymous et qui, à ses heures perdues donne des coups de main aux femmes qui craignent d'être pistées par leur compagnon. Personnage intéressant. Pour lequel néanmoins tu peines à ressentir de l'empathie, peut-être à cause de la masse de documentation sur le milieu des hackers. Tu observes Antoine et L. se débattre, se rencontrer, s'entraider. Tu guettes le message politique, tu en perçois des bribes, effectivement, la photographie sociétale est bien faite, c'est la galère tout ça. Dehors et dedans. Pourtant, tu peines encore à t'accrocher au texte. Ultra documenté. Parfois écrit avec une sorte de rage que l'on imagine être celle du spectateur impuissant, ce qu'est certainement l'écrivain, témoin, reporter, narrateur mais pas acteur.

Tu peux l'avouer, tu ne prends pas de plaisir à lire ce roman. Tu cherches en vain la lumière qui avait éclairé ta lecture de L'Art de perdre. Tu cherches en vain la chair derrière l'avalanche de mots. Tu dois reconnaitre que certaines phrases te semblent toujours absconses malgré plusieurs lectures. Même pour toi qui aimes le jus de cerveau, là, c'est un échec. Tu vas au bout, bien sûr, parce que le boulot de l'auteure est intelligent, fouillé, certainement très ambitieux. Mais, même dans la Vieille Ferme, auprès de cette communauté de marginaux et de laissés pour compte qui tentent un autre mode vie, non, même là, tu ne vibres pas. Tu retrouves un peu de cette tristesse accrochée aux pages de Sombre dimanche, tu te demandes si la France des années 2020 est semblable à la Hongrie des années 1980. Et puis tu arrêtes de te demander quoi que ce soit, tu refermes le livre, tu es déçue, ça arrive.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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