AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de OphelieC


"Une comédie des erreurs" de Nell Zink est un pari audacieux de la part de l'auteure. Cette dernière a choisi de parler de sujets sensibles qui ne manqueront pas de toucher le lecteur et de faire en sorte qu'il n'oublie plus jamais ce roman. L'auteure met le doigt à l'endroit exact où ça fais mal et ça en devient délectable ! Et rien que pour cette originalité déroutante et cette audace, il faut bien le dire, merci ! L'humour noir et grinçant est d'ailleurs présent tout au long de ce roman que l'on dévore en quelques jours ; au parfum d'interdit. C'est un régal, un délice, un pêché ! Ainsi, avec ce premier roman, Nell Zink entre directement dans la cour des grands et montre tout de suite qu'elle possède un indéniable talent pour l'écriture. Une mise en bouche qui nous donne envie de découvrir ses prochains ouvrages...

Tout d'abord, Nell Zink traite du sujet épineux de l'homosexualité, d'une manière singulière qui surprend dès le résumé et les premières lignes. Elle met en scène Peggy, une étudiante qui s'affirme dès le début lesbienne, alors qu'elle n'a jamais eu de relations avec des femmes et qu'elle n'éprouve pas non plus de l'aversion pour les hommes. En bref, nous sommes en 1960, sur le campus d'une petite université de Virginie et ça ne choque pas plus que ça. Mais l'auteure ne s'arrête pas là. Peggy Vaillaincourt - qui se dit donc lesbienne - entame une liaison torride avec son professeur de poésie... soi-disant homosexuel ! Or, il ne rechigne pas à avoir des relations sexuelles avec cette belle blonde plus jeune que lui !

Nous comprenons donc que Nell Zink aime à faire s'écrouler ce que nous croyons acquis et ce que nous pensons être. Une étudiante qui pense être attirée par les filles, alors qu'il est évident qu'elle aime les hommes et un professeur érudit et homosexuel qui pencherait plus vers la bisexualité. Ce drôle de couple épanouit dans le secret, donnera alors lieu à un mariage et naissance à deux enfants, une fille nommée Mireille et un garçon, Byrdie. Un semblant de vie normale et ordinaire, jusqu'à ce que tout vole en éclats...

C'est là que l'auteure met en scène la question du racisme. En effet, Peggy - qui deviendra Meg - et Mireille - qui deviendra Karen - va usurper l'identité d'une petite fille noire décédée et changer de vie ; direction le sud des Etats-Unis, dans une vieille maison abandonnée. Et le pire, c'est que ça marche ! Car même si elles sont toutes les deux blondes et blanches de peau, elles réussiront - avec une singulière facilité - à se faire passer pour des filles de couleur.

Une fois encore, Nell Zink met l'accent sur la bêtise des préjugés et déchire le voile des faux-semblants : une orientation sexuelle peut évoluer à tout moment et une seule goutte de sang noir dans un arbre généalogique suffit à poursuivre toute une famille... Meg saura alors faire profiter à Karen, des avantages d'être une petite fille noire dans un pays conservateur et raciste, où la "discrimination positive" leur fera économiser de l'argent et disparaître du paysage. Au final, une couleur de peau, pas plus qu'une orientation sexuelle, ne peut déterminer la personnalité d'un individu, ni sa capacité à réussir ses projets...

Mais Nell Zink va encore plus loin dans sa critique de la société américaine des années 60 - pas si lointaine de celle d'aujourd'hui. En ouvrant son roman sur la liaison entre une jeune étudiante et son charismatique professeur de poésie - objet de fantasme, alors qu'il est homosexuel... - , l'auteure met aussi l'accent sur l'élitisme universitaire qui ne rime parfois à rien. En effet, ce professeur intelligent qui ne manque pas de caractère, fait souvent l'objet de cliché, poursuivi par de jeunes étudiantes qui rêvent du grand frisson. Or, en mettant en scène un professeur homosexuel, Nell Zink effrite le mythe. de plus, elle fait de Peggy une femme de caractère, masculine, loin des jeunes filles frivoles et écervelées. Pour finir le tableau, on sent le poids de l'éducation de bonne famille qu'à reçu Peggy et dont elle veut se débarrasser. Tandis que Lee inflige un sentiment d'oppression à ses enfants, pédant, égoïste, presque un esthète fou, vivant reclus au milieu d'un lac nauséabond...

Pour finir, l'auteure nous offre une fin en demie-teinte, faussement heureuse, à l'image de tout le reste du roman. Car c'est bien d'une "comédie des erreurs" qu'il s'agit. Un livre drôle, à l'humour noir crissant, qui met en scène des personnages loin d'être ce qu'ils veulent bien nous faire croire. D'ailleurs, eux-mêmes finissent par se perdre et par ne plus savoir qui ils sont. Ils accumulent tous, chacun à leur manière, des erreurs aux conséquences plus ou moins dramatiques, dans ce théâtre qu'est la vie : faire semblant d'être hétérosexuel, faire bonne figure face à sa famille rigide, faire semblant d'être une étudiante et un professeur comme les autres, faire semblant d'être Noir. Mais aussi et surtout, faire semblant que tout va bien, et ce, malgré les démons qui reviennent en courant, les histoires d'amour atypiques, mais qui veulent tenir la route et cette pénibilité à renier les liens pourtant solides de cette famille dysfonctionnelle...
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}