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Critique de Lucilou


Nombreux sont les personnages des Rougon-Macquart qui m'ont marquée: Serge Mouret et Albine sont de ceux-là.

Il faut dire que je garde de ma lecture de "La Faute de l'Abbé Mouret" un souvenir ébloui...
Je sais bien que souvent, ce cinquième opus est moqué, décrié... Objectivement, il n'est peut-être pas aussi puissant ou surtout convaincant qu'un "Assommoir" ou que "La Terre", mais je n'y peux rien: je l'aime quand même. Oh, peut-être que si je le relisais, je lui trouverai des faiblesses ou peut-être que je rirai de la passion naïve de Serge et d'Albine, peut-être que je ne la trouverais pas crédible... Mais n'empêche. C'est un roman qui m'a marqué et que j'ai passionnément aimé.

Je suis entrée dans le roman alors que La Teuse préparait la Messe dans la petite église des Artaud tandis que Serge, insensible aux bancs vides et aux moineaux, s'abîmait dans sa mystique d'innocent séminariste.

Zola était un théoricien parfois obtus, parfois austère et les dieux de la littérature savent combien ce grand homme a pu m'agacer avec son scientisme, sa foi en l'hérédité érigée comme suprême valeur de son XIX°siècle. Mais, quand on laisse le théoricien s'allier avec le conteur... Là, c'est une autre histoire... Rationnel, Zola? Oui. Naturaliste ? Oui. D'une précision scientifique ? Souvent. Conteur, romancier? Oui, aussi!
Emile Zola sait définitivement s'y prendre pour nous raconter des histoires, pour créer des personnages desquels on se sent proche et dont on suit avidement le destin.
Peut-être est-ce dû aux détails qu'il sème tout au long de ses romans ? Peut est-ce parce qu'il se laissait emporter par sa prose et que ses personnages finissaient pas le dévorer ? Peut-être les aimait-il ? Peut-être, enfin, est-ce grâce aux chatoiements de sa plume d'une précision clinique mais capable aussi de pousser le vice jusqu'à s'épanouir dans l'expression des sentiments, souvent violents ?

La faute de l'Abbé Mouret, c'est le quotidien triste et sec du jeune prêtre fraîchement sorti de son séminaire, comme un oiseau serait tombé du nid, au village des Artaud, hameau rude, à la terre stérile ; contrairement aux ventre de ses filles qui s'arrondissent un peu trop souvent et bien loin de l'Église. C'est un village qui annonce "La Terre", où la loi est celle du sang et des oliviers. Loin, très loin dans son presbytère, l'Abbé Mouret se donne à sa foi et fuit loin des recommandations bavardes de sa vieille servante, de la vie éclatante et impudique de sa jeune soeur.
Et de fièvres mystique en prières à Marie, l'agneau de Dieu s'effondre, terrassé par la fièvre.
Son oncle, médecin, le mène jusqu'au Paradou et le confie au bons soins d'un garde champêtre et de sa nièce, Albine, une sauvageonne poussée parmi les fleurs de l'immense jardin inexploré du domaine. Après tout, tout le monde sait que le bon air et la nature sont les meilleurs remèdes qui soient!
La tentation viendra de la jeunesse et de  la beauté d'Albine qui se donnera toute entière. Elle viendra aussi du Paradou , de cet Eden vierge et étourdissant, enivrant même, tout comme l'était la serre de la Curée.

Naturaliste, Zola l'est plus que jamais dans ce roman où le jardin prend possession des êtres et des lieux inexorablement. Les roses éclosent,explosent, embaument et colorent l'immensité verte tandis que le lierre, les jasmins esquissent un tapis au dessus duquel les arbres étendent leurs branches. le jardin de Zola est vivant et même inquiétant, étouffant. Il déferle, se déverse en une multitude de parfums, de couleurs et de lumière, il prend racine et donne la vie. Sa sève semble se mêler au sang battant des personnages qui s'éveillent au désir et au soleil. Ce jardin est tout à la fois prison et liberté, lumière et ténèbres. Il est fièvre et sérénité. Il hante même les pensées mystiques, sacrées de Serge qui s'y perdra avant d'être rattrapé par sa vocation et le frère Archangias. Quel sale type celui-là!
Les heures sont douces en ce Paradou qu'il faudra pourtant quitter pour rejoindre le chemin de la croix, laissant derrière soi la tendresse et les fièvres du désir, laisser derrière soi celle qui deviendra Ophélie, une Ophélie noyée dans les fleurs et leurs effluves.

Hymne au désir, à la vie, à la nature, condamnation de la religion catholique et de ses excès , La Faute de l'Abbé Mouret est avant tout un roman où la beauté de la langue se met au service d'une histoire belle et tragique, âpre mais qui frémit aussi sous de grandes nappes de lumière. Un roman bouleversant dans lequel la vie continue toujours avec violence, même au moment où se fanent les fleurs, où la mélancolie poigne dès les premiers chapitres, où la tension monte progressivement pour exploser en un déferlement de beauté et de souffrance.

J'ai eu mal en lisant: mal pour Serge que je voulais rebelle tel un Lucifer transcendé et défroqué ; pour Albine, victime consentante. Les fleurs du Paradou m'ont ébloui avant de me donner mal à la tête... C'est une lecture violente autant que bouleversante La Faute de l'Abbé Mouret. Moi, j'en garde le souvenir d'une lecture qui m'avait poignardé.
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